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Reviewed by:
  • Penser la fin du monde par Emma Aubin-Boltanski et Claudine Gauthier
  • Gérard Toffin
Aubin-Boltanski, Emma et Claudine Gauthier, dir., Penser la fin du monde, Paris : CNRS Éditions, 2014, 524 pages.

L’imaginaire mène le monde, peut-être davantage encore que les famines ou les conflits sociaux. C’est la conclusion que l’on est en droit de tirer de la lecture de Penser la fin du monde, ce gros livre publié par les éditions du CNRS. L’idée s’impose rapidement au fil des pages que les visions millénaristes, les discours eschatologiques plus ou moins régénérateurs élaborés par les religions à travers le monde, ont joué, et continuent de jouer, un rôle majeur sur les esprits et les événements politiques. L’actualité, les témoignages sur le passé l’attestent.

Le dossier, réuni par Emma Aubin-Boltanski et Claudine Gauthier, vient couronner une recherche collective (« Eschatologies ») menée de 2009 à 2013 et financée par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). L’eschatologie est abordée sous trois angles différents : 1. comme prisme de lecture de l’histoire, 2. comme corpus dynamique et processuel, et 3. comme schème contemporain, transformant le langage sacré en agent d’innovations sociales et politiques. L’entreprise, dont on appréciera l’approche interdisciplinaire (sociologie des religions, anthropologie, orientalisme textuel, histoire), est résolument située dans la diachronie.

Comment penser ces spéculations prophétiques sur la fin du monde? Pour les directrices de la publication, il serait erroné de s’en tenir aux angoisses populaires « hors cadre », de type convulsif. Les fièvres millénaristes ne relèvent pas, ou pas seulement, de la psychologie ou de la psychopathologie. Ces eschatologies, perpétuellement reconfigurées au cours de l’histoire, sont dans la plupart des cas le fait de cultures savantes et raisonnées produites par des théologiens et des philosophes dont les théories s’expriment au moyen de l’écrit et non par la transmission orale. Aubin-Boltanski et Gauthier montrent également que ces théologies complexes se présentent souvent au départ comme des contre-religions radicales, rigoristes, en dissidence avec la religion dominante. Par « routinisation » progressive, la branche rebelle finit fréquemment par devenir elle même une religion avec ses dogmes et son clergé (Nabil Mouliné à propos du wahhâbisme). Les spéculations eschatologiques deviennent alors centrales. La perspective historique est ici indispensable.

Le sujet déborde largement les passages de millénaire en millénaire (an 1000 ou 2000 par exemple) et les spéculations confuses auxquelles ces moments donnent lieu. Les fins dernières du monde sont de facto un motif central de préoccupation. Elles apparaissent consubstantielles aux conceptions religieuses. Toutes les religions, tout particulièrement les monothéismes, sont sujettes à des visions apocalyptiques. Le zoroastrisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam sont concernés au premier chef. Des catastrophes stellaires ou telluriques, souvent accompagnées d’un dérèglement des mœurs, d’une débauche sexuelle généralisée et d’un affaiblissement de la foi, annoncent cette fin des temps. À de tels cataclysmes succèdent des jugements derniers, des parousies, des résurrections finales, des visions paradisiaques. Des émissaires, des messies et autres mahdî, les « bien guidés », sont envoyés périodiquement sur terre pour avertir les hommes de l’imminence de ces évènements. Malheureusement, des imposteurs (tel l’Antéchrist dans la tradition musulmane) se mêlent aux prophètes. Les religions s’emploient à les débusquer.

Ces éaborations eschatologiques (dont L’Apocalypse de Jean, le dernier livre du Nouveau Testament, composé vers la fin du 1 siècle, et qui est sans doute l’un des emblèmes majeurs dans la chrétienté), sont repensées régulièrement pour répondre aux attentes des populations et réagir aux évènements (prise de Constantinople, etc.). Elles mettent en jeu des figures d’autorité et ne prennent toutes leurs significations qu’une fois replacées dans leurs contextes locaux et historiques. Sur ce point, l’une des contributions les plus captivantes—et d’une br...

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