Abstract

À partir des usages et représentations que les services forestiers et les communautés du Maroc rural se font du cairn, monticule rocheux servant de borne, le propos de cet article est de montrer comment l’ontologie naturaliste véhiculée par le code forestier s’oppose à l’ontologie analogique locale sur le statut à donner à la frontière entre espace cultivé et forêt. Pour le code forestier, le cairn se résume strictement à une borne de cadastre fidèle à une optique de topographe dans le cadre d’une organisation technocratique de l’espace. L’usage que les communautés du Maroc rural se font des cairns est bien plus polyvoque. Si délimiter est une des fonctions attribuées au cairn, il est aussi perçu comme une borne d’étape de saint, comme un point de rencontre entre le monde des humains (l’espace cultivé) et celui des génies (la forêt), comme un belvédère et comme un lieu rituel. Alors que le code forestier se limite à voir dans le cairn un outil pour transposer une rationalité de droits dans le territoire, les communautés l’inscrivent dans une sémiotique de l’espace. Malgré ces écarts de points de vue, dans la pratique les cairns de domanialisation de la forêt s’avèrent être des points de négociation des ontologies résultant des interactions complexes entre forestiers et paysans. Dans la région d’Essaouira, l’appropriation symbolique de l’intervention du forestier par les communautés berbérophones se réalise par l’investissement rituel du bornage domanial par les femmes. Au final, l’article tentera de démontrer que la négociation des ontologies autour du cairn a pour effet l’hybridation des modalités de gestion forestière, et donc des politiques publiques.

Abstract

Drawing on the representations and uses that rural communities and forest management services in Morocco entertain about the cairn, a rocky mound used as a marker, this article discusses the way in which the naturalist ontology of forest management codes contrasts with the local analogic ontology regarding the status given to the boundary between cultivated space and forest. In the forest management code, the cairn is a marker to be used in cadastral plans following a topographical and technocratic organisation of space. The way rural communities make use of the cairn is much more polysemic. If one of the purposes of the cairn is to establish boundaries, it is also seen as a saint stop-off, as a middle point between the human world (cultivated space) and that of the genies (forest), as a belvedere, and as a ritual space. While the forest management code considers the cairn as an instrument that transfers a rights-based rationality over the territory, the communities incorporate it in a semiotics of space. Notwithstanding these differences, in practice, the forest’s domain-marking cairns are ontological points of negotiation resulting from the encounter between forest rangers and peasants. In the Essaouira region, the symbolic appropriation by Berber-speaking communities of forest rangers’ interventions is realised through women’s ritual investment in domain-marking. This article illustrates how the negotiation of ontologies around the cairn engenders hybrid modalities of forest management and, thus, of public policies.

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