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Reviewed by:
  • Ruling Oneself Out: A Theory of Collective Abdications by Ivan Ermakoff
  • Johann Chapoutot
Ivan Ermakoff Ruling Oneself Out: A Theory of Collective Abdications Durham, Duke University Press, 2008, XXXIII- 402 p.

Voici deux événements qui dépassent de loin le seul champ de l’exploration historiographique et qui excèdent le seul intérêt scientifique: en mars 1933 en Allemagne et en juillet 1940 en France, deux Parlements réunis dans des formes légales (quoique troublées) ont librement voté leur « abdication collective » en se « mettant hors-jeu » (ruling oneself out) dans le cadre d’une procédure constitutionnelle valide (même si, dans le cas de la France, elle a pu être contestée par la suite).

Ces deux événements sont majeurs: la loi d’habilitation votée par le Reichstag le 23 mars 1933 a donné au cabinet d’Adolf Hitler le pouvoir de prendre des décrets-lois pour une durée de quatre ans renouvelable; le vote de l’« Assemblée nationale » (c’est-à-dire la réunion de la Chambre des députés et du Sénat en une formation que l’on appelle depuis 1958 le Congrès) du 10 juillet 1940 a donné tout pouvoir au président du Conseil, le maréchal Philippe Pétain, de prendre des actes législatifs sous sa seule signature. Ces deux actes de naissance du IIIe Reich et du régime de Vichy trouvent un écho sans cesse renouvelé depuis lors: ils interrogent en effet la force et la pertinence de la démocratie parlementaire et constituent un inépuisable réservoir d’arguments polémiques contre elle (« Hitler est arrivé légalement au pouvoir », « c’est la Chambre de 1936 qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain », etc.). L’étude que leur consacre Ivan Ermakoff possède donc un intérêt épistémologique et politique en ce qu’elle interroge à la fois notre manière de pratiquer la discipline historique et notre attachement si conditionnel, si prudent, au « pire des régimes (à l’exception de tous les autres) »: la démocratie.

C’est bien en historien que l’auteur étudie deux événements qu’il qualifie de « paradigmatiques », exemplaires en tout cas, de situations de dilemme et de tension dans la formulation d’un choix collectif. L’auteur propose une lecture approfondie et assez exhaustive de sources contemporaines (prises de parole publiques, journaux intimes, correspondances privées, procès-verbaux de délibérations, etc.) ainsi que postérieures (protocoles des comparutions devant les commissions d’enquête parlementaires après 1945, notamment). Avec de telles sources et dans une langue à la fois fluide et accessible, il rend sensible la complexité et l’intimité de l’événement – ainsi de ces discussions au sein de la fraction du Zentrum, le parti central et le pivot, qui va décider du succès de la demande déposée par Hitler, entre les 20 et 23 mars 1933. L’auteur fait preuve d’une grande finesse dans la lecture des sources: Clara Siebert, députée du Zentrum, rapporte le silence d’Heinrich Brüning – ancien chancelier de 1930 à 1932, artisan de la politique éponyme de déflation et grande figure du parti – et ce silence pèse lourd.

Car c’est là l’hypothèse centrale de l’auteur: auctoritas (et non veritas) facit legem… Placés dans un univers incertain (que pensent les collègues? comment le cabinet Hitler va-t-il évoluer? quelle sera la place et la situation du parti et du Reichstag demain? le Vatican va-t-il signer un concordat? etc.), les députés du Reichstag (et, singulièrement, ceux du Zentrum) appliquent une politique d’« alignement collectif », fondée sur des conjectures et sur la prise de position explicite (prise de parole) ou implicite (silence) des primi inter pares, de ceux qui, comme Ludwig Kaas, le très national-conservateur chef du parti, qui a marqué le virage très à droite du Zentrum, s’expriment ou de ceux qui, comme Brüning, se taisent. L’idée d’alignement collectif pourrait du reste se traduire en allemand par...

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