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  • À vos ordres? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre by Emmanuel Saint-Fuscien
  • Florin Turcanu
Emmanuel Saint-Fuscien À vos ordres? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre Paris, Éd. de l’Ehess, 2011, 310 p.

Si la Première Guerre mondiale fut, selon les mots de François Furet, l’« un des événements les plus énigmatiques de l’histoire moderne1 » par le soudain basculement des sociétés du Vieux Continent dans la violence d’un conflit armé dont l’intensité et la durée n’avaient pas été anticipées, un des problèmes auquel se heurte sans cesse l’historien est celui de la transformation ou de la persistance des normes et des pratiques dans les relations interhumaines sous l’emprise de la nouvelle brutalité instaurée par la guerre. C’est sur ce terrain que la « ‘totalisation’ guerrière propre au premier conflit mondial2 » émerge comme un défi pour la pensée historienne, confrontée aux questions des ressorts de la mobilisation, du consentement et de la résilience des troupes qui combattirent pendant plus de quatre ans sur les champs de bataille. Au cœur de cette problématique, le livre d’Emmanuel Saint-Fuscien dissèque la relation entre autorité et obéissance dans la pensée et la pratique de l’institution militaire française soumise à l’épreuve de la guerre, mais aussi en tant qu’expérience vécue aussi bien par les supérieurs hiérarchiques que par les subordonnés.

Scruter, anticiper ce que pourrait être dans l’avenir proche la guerre moderne fut l’une des préoccupations des observateurs et des théoriciens militaires français3. Les réflexions qui s’accumulent après 1871 – y compris dans des textes publiés – autour du couple autorité/obéissance dans le fonctionnement de l’institution militaire en temps de guerre sont analysées par l’auteur. Les mutations que subit à cette époque la culture militaire de l’autorité sont non seulement le reflet de la défaite de 1870, mais aussi celui de l’influence de la psychologie et de la sociologie sur les esprits de certains théoriciens militaires préoccupés, en même temps, par les effets collectifs, encore peu connus, de l’impact de la puissance de feu des armements moderne sur l’obéissance de la troupe à ses chefs.

Dans les conditions de la guerre qui éclate en 1914, les sources mobilisées par l’auteur – notamment les correspondances et les journaux intimes – démontrent la persistance dans les esprits du modèle du chef qui montre l’exemple. Valorisée dans les écrits théoriques d’avant-guerre, cette exemplarité tente de préserver la visibilité – amoindrie par les conditions de la guerre moderne – des traits traditionnellement associés à l’autorité militaire: « volonté, courage, maîtrise des nerfs, exposition au feu ». S’y ajoutent – dans les [End Page 270] nouvelles conditions de souffrances physiques et psychiques de masse – « l’affection, l’amour, la douceur », qui gagnent en importance « dans une pratique d’autorité liée à la durée de la violence » (p. 79). La mise à l’épreuve de l’autorité au cœur de la violence guerrière accentue l’importance des hypostases et des marques de celle-ci, et l’ouvrage se penche sur le vocabulaire du chef militaire, sur les gestes de l’exemplarité mais aussi sur les signes et les objets, des galons dont « la visibilité au combat semble considérablement réduite » (p. 89) au revolver (qui remplace sur le champ de bataille le sabre traditionnel, devenu encombrant et inutile) en passant par le sifflet. La montre, les jumelles, le téléphone sont autant d’objets qui ne sont associés avec l’autorité de l’officier que dans les nouvelles conditions de la préparation et du déroulement du combat.

Tout comme la multiplication des signes et des objets de l’autorité, la géographie de son exercice se diversifie et obéit à une dynamique nouvelle en temps de guerre. Les troupes se trouvent et se...

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