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  • Les sanglots de l’aigle pêcheur. Nouvelle-Calédonie: la guerre kanak de 1917 by Alban Bensa, Kacué Yvon Goromoedo and Adrian Muckle
  • Stéphane Audoin-Rouzeau
Alban Bensa, Kacué Yvon Goromoedo et Adrian Muckle Les sanglots de l’aigle pêcheur. Nouvelle-Calédonie: la guerre kanak de 1917 Toulouse, Anacharsis, 2015, 716 p. et 1 CD-Rom

Ce titre poétique qui désigne le sifflement de l’oiseau de malheur et de deuil qui survole les lieux où gisent les morts au combat de la guerre de 1917 est celui d’un grand livre, voire d’un très grand livre, dont il est difficile à un historien non familier du sujet de rendre compte avec toute la pertinence voulue.

C’est d’évidence le livre d’une vie – ou de plusieurs–, car outre le rôle joué par Jean-Claude Rivierre depuis 1963, en lien avec plusieurs érudits kanak auxquels il est rendu hommage, les auteurs sont au nombre de trois: un enseignant du paicî, issu de la région où la guerre de 1917 a commencé, Kacué Yvon Goromoedo; un historien néo-zélandais, Adrian Muckle; enfin un anthropologue, Alban Bensa, qui comptabilise quarante années de « compagnonnage » (p. 21) avec les descendants de nombreux acteurs du conflit de 1917. D’emblée, on comprend qu’un tel ouvrage se tient à bonne distance d’un discours surplombant sur une guerre de 1917 qu’il s’agit, tout au contraire, de « penser avec le monde kanak » (p. 687).

L’objet de l’ouvrage – qui pourrait paraître infime à un historien du premier conflit mondial en Europe – est donc la révolte kanak de 1917 dans le centre-nord de l’île (dans les vallées de Koné, Tipindjé et Hienghène). Cette révolte d’une année contre le recrutement français pour le front européen (notons que sur 948 hommes envoyés en Europe, 382 ont trouvé la mort) fait écho à d’autres révoltes pour un motif identique dans d’autres espaces colonisés lors de la même période. Elle était de faible ampleur (les combats sous forme de guérilla, qui ont mobilisé 400 soldats et tirailleurs, 400 auxiliaires kanak et 300 guerriers « rebelles », ont fait environ 120 morts en un an, auxquels il faut ajouter les morts de maladie dans les geôles de Nouméa et dans les réserves-refuges, soit 300 morts au total, principalement kanak), si on entend la comparer à celle de 1878, ce qui explique que le souvenir historique de celle-ci a durablement éclipsé la guerre de 1917, après avoir toutefois inspiré les pratiques de ses acteurs.

Mais une telle éclipse ne concerne nullement les Kanak eux-mêmes, tout au contraire. Le livre est précisément centré sur la mémorisation locale du soulèvement, sédimentée de 1917 à nos jours en récits ou en poésies-récits – dix-sept en tout sont publiés dans le livre – grâce à un « sursaut narratif » (p. 25) qui a permis une poursuite de la lutte autrement, alors que la révolte et son échec imprimaient au destin des colonisés un tournant majeur. Dans le cadre d’une intensification de l’oppression coloniale au cours des années 1920 et 1930, une « nouvelle partition de l’espace [supposant un] nouvel ordre du temps » (p. 690) s’impose alors aux Kanak, comme le résume parfaitement l’ultime chapitre de l’ouvrage. Pour autant, « la guerre de 1917 les a contraints à mettre en sourdine leurs convictions et à développer des modes de résistance moins frontaux, parmi lesquels le travail mémoriel a joué un rôle central » (p. 464).

Le plan fait suivre une première partie historique de facture assez classique par deux autres parties ethnographiques, politiques et, surtout, littéraires. Le seul regret a trait à l’aspect un peu succinct des développements sur les armes, les pratiques de combat, les gestuelles guerrières (malgré d’intéressants aperçus sur la porosité entre la danse et la formation guerrière pour le combat); trop succincts sont peut-être aussi les passages sur...

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