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Reviewed by:
  • Révolution et guerre. Formation d’une élite dirigeante dans l’Argentine créole by Tulio Halperin Donghi
  • Geneviève Verdo
Tulio Halperin Donghi Révolution et guerre. Formation d’une élite dirigeante dans l’Argentine créole trad. par O. Begué, Paris, Éd. de l’Ehess, [2005] 2014, 426 p.

Le livre dont il est ici question a connu plusieurs vies. Le présent volume est la traduction française d’un monument de l’historiographie argentine et latino-américaine, Revolución y guerra, dont la première édition date de 1972. La genèse de l’ouvrage, telle que la retrace Tulio Halperin Donghi dans un avant-propos original, s’étend de la fin des années 1950 au début des années 1970, un moment d’effervescence intellectuelle et d’intense activité pour cet historien qui fut contraint à l’exil par la dictature militaire de 1966. Dans sa préface, Juan Carlos Garavaglia rappelle à son tour que l’ouvrage, proscrit par les militaires lors du coup d’État de 1976, ne connut de véritable diffusion qu’à partir de 1983 et du retour de la démocratie en Argentine. De façon émouvante et instructive, l’histoire du livre suit donc les péripéties de la vie de son auteur et les soubresauts de son époque, produisant un effet d’écho temporel mené jusqu’à son terme, puisque la sortie du présent volume précéda de quelques semaines le décès de T. Halperin Donghi.

Par ailleurs, comme le souligne J. Carlos Garavaglia en convoquant immanquablement Jorge Luis Borges, cet ouvrage constitue en quelque sorte l’aleph de l’historiographie argentine, le point de départ et la référence obligés de tout essai portant sur la première moitié du xixe siècle: quel que soit le sujet abordé, d’une façon ou d’une autre, « Tulio l’a déjà dit » (p. 10). Cela s’explique non seulement par l’ampleur thématique de l’ouvrage, mais surtout par sa profonde cohérence méthodologique et le souci constant de l’auteur d’assortir les fortes thèses qu’il propose de multiples nuances, témoignant d’une connaissance intime des acteurs et des sources. La profonde exigence qui semble guider le propos est celle de conférer du sens à une période traditionnellement placée sous le signe de l’anomie, sans rien sacrifier de la complexité et de la diversité qui caractérisent les situations et les processus à l’œuvre.

Il s’agit donc d’un essai d’histoire « totale », marqué par l’empreinte de Lucien Febvre et de Fernand Braudel (dont T. Halperin Donghi suivit les cours à la vie section de l’Ephe), qui analyse successivement la décomposition de l’ordre colonial au Río de la Plata et la mise en place d’un nouveau système à la faveur de la révolution et de la guerre d’indépendance. Si l’auteur affirme qu’il s’agit « avant tout [d’]un ouvrage d’histoire politique » (p. 19), son propos tire indéniablement son intelligibilité de l’analyse des structures économiques et de celle – encore plus minutieuse – des rapports entre les groupes sociaux.

La mutation fondamentale que retrace T. Halperin Donghi est en effet d’abord d’ordre économique et commercial. Avec la crise impériale et la révolution, le Río de la Plata passe d’une économie fondée sur l’exploitation des métaux précieux à une économie fondée sur l’exportation des produits de l’élevage, tandis que le système de l’Exclusif colonial dominé par Cadix laisse place à un système de « commerce libre », où les marchands anglais occupent désormais une position de choix. Cette mutation des activités productives entraîne une recomposition (relative) des élites socio-économiques, mais surtout – c’est la grande nouveauté de la période et la principale thèse de l’ouvrage – une différenciation progressive entre ces dernières et une élite proprement politique, née de la révolution.

Sur la toile de ces mutations socioéconomiques, T. Halperin...

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