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  • Ikki. Coalitions, ligues et révoltes dans le Japon d’autrefois by Shizuo Katsumata
  • Guillaume Carré
Shizuo Katsumata Ikki. Coalitions, ligues et révoltes dans le Japon d’autrefois trad. par P.-F. Souyri, Paris, Cnrs Éditions, [1982] 2011, 268 p.

L’ouvrage de Shizuo Katsumata est paru dans sa version originale à un moment de basculement des sciences historiques japonaises, alors que l’épuisement progressif des paradigmes marxistes dominants depuis l’après-guerre suscitait de nouvelles tentatives pour renouveler les méthodes d’analyse historique. Ce texte, conçu à l’origine pour une édition de poche, donc volontairement accessible, sinon grand public, ne traitait pourtant pas d’un sujet bien neuf en apparence: dans son introduction, le traducteur Pierre-François Souyri rappelle que l’intérêt pour les mouvements de protestations populaires (ikki) dans les milieux académiques japonais remonte aux « émeutes du riz » qui secouèrent l’archipel en 1918. Ces révoltes étaient naturellement un sujet qu’affectionnaient les historiens marxistes, à la recherche des indices d’une dynamique de changement social mue par la lutte des classes: S. Katsumata ne néglige d’ailleurs pas cette riche historiographie dans son propre travail. [End Page 228]

Cependant, l’intérêt de l’auteur, à l’origine spécialiste du droit médiéval, pour les ikki ne portait pas en priorité sur les systèmes socioéconomiques et les rapports de domination au sein desquels fermentaient les révoltes populaires. L’objet de sa réflexion est bien l’ikki en tant que telle, c’est-à-dire la « ligue jurée », sens originel d’une expression qui a fini par devenir synonyme de « révolte », voire de « révolte paysanne », mais qui a été employée sur une longue période allant des débuts du Moyen Âge à la fin de l’époque d’Edo, pour désigner des modes de coalition, de revendication et de résistance utilisés par des communautés qui estimaient leurs droits menacés. La première audace de S. Katsumata était donc de considérer l’ikki comme un phénomène global qu’il convenait d’étudier en dépassant les coupures chronologiques et disciplinaires, pour faire ressortir les continuités sous des formes et selon des mobiles de protestation qui connurent naturellement aussi de profondes évolutions entre le xiie et le xixe siècle.

Cette continuité, S. Katsumata la décèle non seulement dans la persistance du terme ikki jusqu’à l’orée de la modernisation du pays, mais aussi dans les pratiques qui régissaient ce type de coalition: prestation de serment devant les divinités, ingestion d’une « eau sacrée » par les conjurés, port de déguisements divers… L’attention portée aux comportements et aux éléments de mise en scène est une des grandes originalités de l’auteur, issue directement de l’emploi des méthodes des études folkloriques (minzokugaku), une approche historique développée en particulier par le médiéviste Yoshihiko Amino. Toutefois, la finalité de cette tentative d’anthropologie historique n’est pas uniquement descriptive: l’examen de la transmission des formes permet de reconstruire une généalogie des modes de protestation envers l’autorité; il conduit à une réflexion sur les conceptions de l’ordre social, du droit individuel et collectif, du rapport au sacré, qui légitimaient le défi envers les diverses formes de pouvoir successives des périodes préindustrielles et qui assuraient la cohésion des mouvements de désobéissance.

C’est donc une histoire des mentalités sur la longue durée que s’est proposé d’écrire S. Katsumata. À l’origine des pratiques de l’ikki, on trouve, selon l’auteur, les conceptions qui régulaient les prises de décision et l’action collective dans des groupes comme les assemblées monastiques ou les associations entre guerriers du début du Moyen Âge. La revendication du groupe, grâce à la fiction d’une unanimité soigneusement mise en scène, s’imposait à tous ses membres comme fondée et indiscutable, même si elle s’opposait frontalement à une autorité sociale...

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