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  • L’honneur du soldat. Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières by Arnaud Guinier
  • Paul Vo-Ha
Arnaud Guinier L’honneur du soldat. Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014, 409 p.

En étudiant les mémoires envoyés au ministre de la Guerre par des officiers réformateurs après les débâcles des armées françaises pendant la guerre de Succession d’Autriche et la guerre de Sept Ans, Arnaud Guinier nous plonge au cœur des débats qui animent les Lumières militaires françaises dans la seconde moitié du xviiie siècle. Afin d’accélérer leurs carrières et de se faire remarquer en période de paix, ces officiers proposent divers projets de réformes destinés à améliorer la formation et l’efficacité des troupes. Dans la lignée des travaux de Michel Foucault, l’ouvrage s’intéresse au dressage des corps des soldats, pensés comme de véritables automates obéissant au doigt et à l’œil. La formation de tels soldats-machines est perçue comme la prémisse nécessaire à la victoire.

L’alignement parfait des hommes, qui maximise la puissance de feu et la vitesse des manœuvres, est en effet considéré comme la clé du succès sur le champ de bataille. Pour réconcilier le mouvement et l’ordre, chaque soldat doit apprendre à marcher au pas, tout en conservant l’alignement avec ses camarades. Le maniement des armes est également réglé par des ordonnances royales de plus en plus précises et directives. Cette obsession, qui doit autant à la culture mathématique et artistique des officiers qu’au souci d’efficacité tactique, impose de modeler et de former les recrues.

Sujet d’une « emprise millimétrique » (p. 134), le soldat est contraint d’obéir et d’apprendre vite. Cette nécessité impose aux officiers réformateurs des réflexions pédagogiques. L’acquisition du pas cadencé, des mécanismes de tir par salves et des mouvements collectifs impose un conditionnement mécanique du soldat, l’habitude devant pallier le stress des combats. L’attention accrue à l’instruction et à l’exercice des troupes achoppe toutefois sur les contraintes logistiques et budgétaires qui pèsent sur l’armée. Car comment apprendre à tirer sans poudre ni balle, ou s’exercer en hiver sans infrastructures couvertes? En dépit de ces obstacles, les auteurs militaires se révèlent de plus en plus sensibles à la manière d’inculquer la contrainte au soldat. L’obéissance et la précision attendues du combattant doivent-elles résulter de la crainte inspirée par les châtiments ou de l’émulation provoquée par les récompenses? Un nouvel idéal pédagogique détermine le statut de l’homme du rang, qui n’est plus seulement une machine que l’on fabrique mais aussi un être doté d’une dignité. L’instructeur doit désormais montrer ce qu’il attend des recrues, en mobilisant le geste et la parole, et démontrer l’intérêt de ces exercices, afin de susciter l’adhésion de l’élève.

Pour autant, oisifs et récalcitrants s’exposent à des punitions correctives qui visent à réformer les coupables. Si l’exercice physique, marche, course, saut ou tir à la cible, s’impose [End Page 225] comme une « microphysique du pouvoir » (p. 209) qui accroît encore l’emprise sur les corps, cette attention nouvelle aux modalités de l’instruction témoigne d’une volonté de ménager la dignité et l’honneur de l’homme du rang. Pour les réformateurs militaires, la brutalité doit céder le pas à une mobilisation individuelle de l’honneur chez le soldat français, opposé au Prussien, qui fait l’objet de violents stéréotypes essentialisants et est dépeint comme un animal uniquement sensible à la contrainte physique. A. Guinier montre comment les officiers, prenant leurs distances avec un modèle prussien fondé sur la coercition, tâchent de surmonter l’apparente contradiction entre honneur et discipline, en...

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