In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime by Simona Cerutti
  • David Do Paço
Simona Cerutti Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime Montrouge, Bayard, 2012, 301 p.

Invitant son lecteur à rompre avec une définition négative de l’étranger qui se réduirait à l’exclusion de la citoyenneté de l’individu venu d’ailleurs, Simona Cerutti l’emmène à travers les cercles de l’extranéité. La méthode – la microstoria – est éprouvée, mais elle reste efficace. Le terrain – Turin et le Piémont – est toujours aussi fertile, et les résultats, déjà présentés par l’auteure, sont ici utilisés au service d’un changement de paradigme : le passage de l’étude de l’étranger à celle de la « condition d’extranéité ». En effet, on retrouve réunis dans [End Page 1032] cet essai un certain nombre de travaux dont S. Cerutti a rendu compte dans les Annales au cours de la controverse qui l’a opposée à Peter Sahlins autour de la question du droit d’aubaine, ou plus récemment dans un ouvrage collectif dirigé par Jocelyne Dakhlia et Bernard Vincent1. Le livre rappelle également La ville et les métiers, la thèse de l’auteure qui demeure un ouvrage de référence, ainsi que Giustizia sommaria et son expertise incontestable du droit d’Ancien Régime, protecteur des misérables2.

Comme on pouvait l’attendre, ce nouvel opus délivre une grande leçon de méthodologie. L’auteure détourne son regard de l’analyse des politiques de naturalisation pour démontrer qu’être étranger n’est pas un état prédéterminé mais le résultat d’interactions entre un individu, un groupe et une « autorité ». En soulignant la nécessité de distinguer l’extra-néité de la question de l’intégration sociale, S. Cerutti s’affranchit d’une l’échelle de lecture nationale et pose son regard sur l’emboîtement des appartenances sociales à partir des catégories forgées par la société d’Ancien Régime. Sans revenir pour autant à une histoire urbaine de l’étranger, elle utilise la ville et ses archives comme un kaléidoscope, projetant et distinguant à travers elles les différentes dimensions de l’extranéité : « la famille et la transmission, la propriété, le métier et la justice » (p. 10). Aussi, et cela n’est pas spécifique au Piémont, la naturalisation n’est-elle pas à l’époque moderne la condition nécessaire et même exclusive de l’intégration d’un individu.

Dans un premier chapitre, S. Cerutti revient sur l’idée que les étrangers seraient condamnés par le droit d’aubaine à ne pas transmettre leurs biens après leur mort. Elle souligne le caractère exceptionnel du recours du seigneur à ce droit qui ne semble s’exercer que par défaut. Cette bienveillance à l’égard d’étrangers utiles à une ville en plein essor explique également le faible nombre de demandes de lettre de naturalité. Dans un second chapitre, l’auteure développe les stratégies de Girolamo Motta, patron de la confrérie des tailleurs de Turin, musulman ottoman converti au catholicisme et agent du prince Eugène de Savoie, qui a su construire sa puissance sociale autour du crédit. Naturalisé en 1699, il n’est vraiment intégré qu’à la suite de son accès à la propriété, qu’il doit avant tout à ses réseaux et à sa bonne réputation occultant son passé musulman.

Le troisième chapitre est plus familier au lecteur et sa densité témoigne de l’expertise de S. Cerutti dans l’histoire des corporations. Loin d’être une institution conservatrice, les métiers apparaissent comme des matrices d’une intégration économique et sociale des compagnons, sans différence d’origine. Ils sont ici les outils du contrôle social qu’exerce la ville sur les étrangers. Enfin, le dernier chapitre souligne que « ce qui définit ainsi l’étranger n’est pas la provenance, mais plutôt un déficit...

pdf

Share