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  • Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen Âge (vers 1434-vers 1509) by Matthieu Scherman
  • Didier Lett
Matthieu Scherman Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen Âge (vers 1434-vers 1509) Rome, École française de Rome, 2013, x-684 p.

Cet ouvrage se donne l’objectif ambitieux de saisir comment s’organisent le marché du travail et les relations familiales à l’intérieur d’une ville moyenne, Trévise (10 000 habitants), durant soixante-dix ans, essentiellement à partir de neuf registres fiscaux (estimi), rédigés entre 1434 et 1499, riches de plus de 7 000 déclarations et permettant d’appréhender près de 14 000 contribuables.

La documentation utilisée, qui fait l’objet du premier chapitre, est véritablement exceptionnelle. À partir de 1411, le Sénat vénitien exige des territoires de Terre ferme une imposition annuelle, la colta ducale. La commune de Trévise fixe donc la contribution que doit chaque citoyen sur la base des déclarations des chefs de famille de la ville qui ont donné lieu à la rédaction de ces estimi. Les autorités communales font globalement confiance aux dépositions des contribuables, ce qui n’empêche pas parfois, pour éviter les dissimulations, la mise en place de procédures de vérification en amont (des citoyens élus par quartier procèdent à une estimation du nombre de chefs de famille et évaluent donc ce qui doit être déclaré) ou en aval de la procédure (les autorités interrogent les [End Page 1022] voisins pour rectifier des tentatives de fraude, etc.). La majorité de ces déclarations, retranscrites en langue vulgaire, sont rédigées soit directement par le contribuable, soit par un notaire.

Matthieu Scherman souligne l’organisation rigoureuse de cette longue opération qui débouche sur une production d’écrits considérable. Il met également en évidence l’essor des précisions (âge, type de travail, etc.) exigées par les autorités pour mieux cerner la composition des familles. Il insiste enfin sur l’usage social (ou extra-fiscal) de ces dépositions : pour les plus démunis, remplir la déclaration est aussi une manière de se faire reconnaître « pauvres », parfois non sans quelque ironie, comme cet Andrea Girardo da Valmareno qui précise, dans sa déclaration de 1447, qu’il est tellement riche qu’il est obligé de mendier, ou ce barbier, maître Jacomo dit Botarel de Florence, qui évalue en 1455 la valeur de son patrimoine à un chiffre à vingt-quatre zéros; les familles les plus aisées de Trévise utilisent aussi habilement cette opportunité en allant parfois consulter les archives fiscales pour régler des différends juridiques ou en conservant précieusement une copie de la déclaration qui s’ajoute aux archives familiales et peut servir de preuve. Cette documentation remarquable que représentent les estimi constitue l’essentiel du corpus mobilisé, complété ponctuellement par des registres notariés, des livres de délibérations de la ville, des statuts de corporation et des registres de baptême.

M. Scherman consacre le chapitre suivant aux représentations du travail et aux trajectoires individuelles des travailleurs. Il s’ouvre par une étude très fine du lexique (lavorare, industria, arte, mestiere, etc.) utilisé par les déclarants eux-mêmes. L’extrême variété du vocabulaire ou de la manière de dire le travail effectué ne signifie pas que la notion est confuse dans l’esprit des travailleurs mais révèle le « foisonnement d’expériences laborieuses ». Au cours du xve siècle, le travail manuel, pourtant de loin l’activité la plus fréquente, devient discriminant. Les estimi dépouillés, qui permettent de saisir le destin de familles sur au moins trois générations, représentent un formidable laboratoire pour étudier les ascensions ou les déclins des familles. C’est pourquoi M. Scherman s’intéresse également aux mobilités sociales : pour que les populares accèdent aux catégories supérieures, il faut plusieurs générations et souvent le passage par les écoles. On voit des travailleurs...

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