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Reviewed by:
  • La voix des dominés. Communautés et seigneurie en Provence au bas Moyen Âge by Laure Verdon
  • Guilhem Ferrand
Laure Verdon La voix des dominés. Communautés et seigneurie en Provence au bas Moyen Âge Rennes, Pur, 2013, 219 p.

Les mots du titre de cet ouvrage ont plusieurs sens, et leur polysémie en révèle les enjeux. L’analyse porte sur les enquêtes administratives qui ont été conduites dans deux régions de Provence, celle du bas Rhône et, plus au nord du comté, celle que constituent la baillie de Castellane et la viguerie de Puget-Théniers, dans la seconde moitié du xiiie et au début du xive siècle. Elles rendent compte de voix plurielles de manière détournée ou assourdie, dans un cadre normé qui se prête mal à restituer la teneur des discours. C’est pourtant la voix, au sens large du terme, qui est au centre de l’étude. La voix, c’est d’abord celle du souverain, bien sûr, qui trouve dans l’enquête un moyen efficace de rappeler qui il est, ce qu’est sa juridiction et ce que sont ses droits. La voix, c’est aussi celle de nombreux seigneurs, qu’ils soient objets de l’enquête à leur corps défendant ou qu’ils soient à l’origine de la procédure, sollicitant d’eux-mêmes l’enquête de leur souverain et celles des élites à la tête des communautés d’habitants.

Dans les faits, L. Verdon n’étudie pas tant ces voix que leur enchevêtrement. C’est là, sans doute, l’un des grands intérêts de l’ouvrage : mettre l’accent sur le dialogue dont l’enquête témoigne et dont elle conserve, plus ou moins malgré elle, la trace écrite. L’attention prêtée à cet échange met au jour, par ricochet, le contrat – ou quelque chose de ce type qui en tient lieu – qui lie les uns aux autres dans l’entité politique considérée, qu’il s’agisse d’une simple seigneurie ou du comté de Provence. Ce contrat, pour l’auteure, est d’abord émotionnel, fondé sur un lien affectif, fondamental, [End Page 993] ressourcé à certaines occasions plus ou moins ritualisées, lorsque le seigneur, par exemple, rend la justice, de manière visible et démonstrative, ou lors d’une prise de possession de seigneurie.

Les dominés ne sont pas nécessairement ceux qui sont en bas de l’échelle – en aucun cas l’ouvrage n’est une réécriture provençale de Tormented Voices de Thomas Bisson1. Au contraire, l’auteure considère les dominés de manière très large : seigneurs dominés par le souverain; officiers dominés par leur seigneur; seigneurs dominés entre eux, dans le cadre, par exemple, d’une coseigneurie jugée de manière très négative par nombre de témoins; simples sujets, perçus difficilement, si ce n’est dans le collectif qu’est la communauté d’habitants, presque exclusivement par le truchement de leurs représentants. Ce choix de lecture pertinent permet de souligner que la société médiévale, en Provence comme ailleurs, est d’abord un équilibre entre dominants et dominés, et que cette domination est une construction sans cesse recommencée.

L’auteure montre que la fabrique de la domination est continuelle et qu’elle est contractuelle, révélant la nécessité d’une acceptation du rapport de force et rappelant que la domination découle, en fin de compte, d’une forme de consensus dans lequel le consentement est un facteur important à prendre en considération. C’est la raison pour laquelle, par exemple, certaines communautés d’habitants, habilement, jouent la carte du souverain pour s’émanciper d’une « autorité seigneuriale perçue comme trop présente » (p. 149). Le mot communauté renvoie ainsi au groupe d’habitants, bien évidemment, mais aussi à la familia seigneuriale et à la communauté supérieure, renouvelée en partie par ces enquêtes, qu’est la Provence angevine tout entière. Cette acception...

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