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  • Travail domestique et migration
  • Philippe Rygiel
Francesca SCRINZI. – Genre, migrations et emplois domestiques en France et en Italie. Construction de la non-qualification et de l’altérité ethnique, Paris, Éditions Pétra, 2013, 212 pages.

Sociologue, Francesca Scrinzi propose une étude comparée du fonctionnement du marché du travail domestique en France et en Italie, particulièrement de la section de celui-ci qui est censée répondre à la demande d’aide à domicile émanant d’une population vieillissante. La croissance rapide de ce marché au cours des dernières décennies, ainsi que la présence massive de femmes migrantes ou appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les « minorités visibles » dans ces emplois, a suscité de nombreux travaux au cours des dernières années, de sociologues, mais [End Page 160] aussi d’historiens (Raffaella Sarti par exemple6). Ils y ont vu un excellent terrain d’observation des reconfigurations des rapports sociaux de sexe, mais aussi de race ou de classe qui travaillent les sociétés contemporaines. Lectrice attentive des travaux de Mirjana Morokvašić, Francesca Scrinzi s’inscrit dans ce contexte propice à l’imbrication du travail sociologique et des perspectives féministes7. Définissant comme terrain d’étude les instances de formation et de placement des travailleurs du service à domicile, point d’appui des politiques publiques où se croisent demandes des employeurs, agir des travailleurs et interventions de certains des acteurs de la société civile, elle entend mettre au jour les logiques, à la fois matérielles et symboliques, qui président à une racialisation genrée de cette main-d’œuvre.

La démarche et les notions utilisées sont longuement présentées et exposées en un premier chapitre, avant que l’auteure ne nous offre une comparaison des politiques publiques françaises et italiennes en matière de dépendance et d’immigration, assortie de quelques données de cadrages. Les observations sont réalisées sur le terrain, en Italie auprès d’organismes catholiques de Gênes, en France auprès d’une association intervenant dans le secteur de l’aide à domicile. Un dernier chapitre se propose de tirer les enseignements de cette comparaison.

L’enquête illustre un certain nombre de processus déjà connus, mettant en évidence les ressorts (déni de la qualification, isolement, insécurité juridique, discriminations structurelles) qui permettent la surexploitation d’une large partie de la main-d’œuvre du secteur ou bien la force de l’injonction à l’acculturation, souvent ici renforcée par la référence à la « culture » exogène des employés du secteur, très majoritairement des femmes, qui pèse sur ceux-ci. Si le travail domestique n’est plus ici synonyme d’entrée en condition, il n’en demeure pas moins défini par des « savoir-être » qui sont pensés par beaucoup d’acteurs de la formation et du placement comme un travail sur soi et une conversion. L’auteure met également en lumière l’importance du rôle des intermédiaires présents sur ce marché qui ne sont pas seulement des fournisseurs de main-d’œuvre, mais négocient en permanence l’ajustement d’une demande – parfois formulée en termes ouvertement racistes – et d’un besoin de travail que partagent des femmes – surtout – aux parcours et aux situations extrêmement variés.

L’originalité première de ce travail ne réside pas là cependant, mais dans la perspective comparatiste qui est la sienne, mobilisée avec une particulière efficacité parce que l’auteure insiste sur la force structurante des politiques publiques qui, dans ce secteur, sont remarquablement différentes dans les deux pays. Si les dernières décennies ont vu en Italie à la fois un déclin des formes collectives de prise en charge de la dépendance et un soutien individualisé de l’État aux familles, permettant à celles-ci d’être ordonnatrices sans contrôle de la dépense finale, les pouvoirs publics français ont cherché, quoique de manière souvent ambiguë, à favoriser la professionnalisation des tâches d’assistance à la personne et l’institutionnalisation des acteurs du secteur, politique...

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