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  • Travail sportif et domination [post]coloniale
  • Yamina Meziani-Remichi
Manuel SCHOTTÉ. – La construction du « talent ». Sociologie de la domination des coureurs marocains, Paris, Raisons d’agir, 2012, 249 pages. « Cours et travaux ».

Issu de ses travaux de recherches doctorales, l’ouvrage de Manuel Schotté traite des logiques sociales qui sous-tendent la réussite sportive des coureurs de fond et demi-fond. Si, depuis les années 1980, les courses en athlétisme sont dominées au niveau mondial par les Éthiopiens, les Kenyans et les Marocains, l’auteur s’interroge sur la suprématie des coureurs d’Afrique du Nord, interprétée par le sens commun comme le produit d’une sélection naturelle. En effet, ces derniers tireraient leur avantage du fait qu’ils seraient plus « doués » pour les efforts prolongés. Au croisement de la socio-histoire et de la sociologie des pratiques sportives, l’étude de cas des coureurs marocains de Manuel Schotté déconstruit cette idée reçue en étudiant ce thème, peu abordé dans la littérature, de la sélection dans le milieu athlétique. Pour ce faire, l’auteur utilise une méthodologie classique mais fouillée. En effet, les résultats de ses recherches s’appuient principalement sur un travail ethnographique et des entretiens auprès de différents acteurs (agents du marché, coureurs de différents niveaux), combinés avec une analyse historique de différents fonds d’archives. La principale originalité du livre réside dans son enquête ethnographique d’une durée de cinq années sur les territoires français et marocain, qui nous plonge au plus près [End Page 149] des institutions où s’entraînent les coureurs, et au plus proche des athlètes (dans leur vie quotidienne, dans leurs défaites et/ou réussites). Ainsi, à partir d’un travail de terrain robuste, l’auteur montre que la répartition des coureurs est construite par un « marché » de l’offre qui se traduit du côté marocain par la fabrication de jeunes ambitieux, compétents et professionnels, et un marché de la demande du côté européen.

Manuel Schotté organise sa démonstration en cinq parties. Dès le premier chapitre, il entend saisir les déterminants socio-historiques du processus de sélection des jeunes coureurs marocains. Il nous montre que le marché de l’athlétisme international tend à se professionnaliser au Maroc grâce à la mise en place d’un dispositif de formation des coureurs et à un repérage dès l’école dans le cadre de la pratique sportive (cross). C’est à partir du début des années 1980 que la distribution des élites s’installe et que la présence des meilleurs coureurs marocains s’affirme dans les compétitions internationales. Dans la deuxième partie, l’auteur propose des récits de trajectoires individuelles où la dimension ascétique, centrale dans la condition de coureur, est abordée en tant qu’élément de la réussite. On apprend comment la logique de la gagne s’installe dans le quotidien des coureurs grâce à une analyse fine du monde des courses et des conditions sociales dans lesquelles ils vivent, dans des quartiers de Rabat qu’on devine populaires. Pour mettre en évidence les facteurs sociologiques de la réussite des joueurs, Manuel Schotté nous décrit les ressources à mobiliser pour devenir un « champion », un « talent » mais aussi un « désenchanté », à travers des cas précis de jeunes de milieux populaires et urbains : Younès, Hicham, Zahra, Ali, Brahim, Abdel, Faouzi, Aziz, Amine. Suit la description ethnographique d’une journée de compétition qui s’attache au plus près des coureurs. Le récit d’une journée de course à Bejhad nous permet de vivre la course en partageant les sensations des athlètes, leurs échecs et leurs espoirs. La quatrième partie du livre est réservée à l’analyse institutionnelle de l’Institut national d’athlétisme (INA) qui forme et prépare les élites sportives marocaines. L’auteur nous informe des pratiques exigeantes qui y règnent, où l’apprentissage par le corps peut être douloureux. Il...

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