In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Un regard sur l’AfriqueSection dirigée par Cheryl Toman, Case Western Reserve University
  • Florina Matu
Tadjo, Véronique. Far fr om My Father. Trans. Amy Baram Reid. Charlottesville: U of Virginia P, 2014. isbn 9780813935638. 151 p.

Le retour au pays natal, la relation complexe avec le père, l’éloignement au sens propre et figuré représentent des thèmes qui ont souvent été abordés dans la littérature francophone contemporaine sous la plume d’Assia Djebar (Nulle part dans la maison de mon père, 2007), Leïla Sebbar (Je ne parle pas la langue de mon père, 2003) ou Dany Laferrière (L’Énigme du retour, 2009). Autofictionnel, le roman de Véronique Tadjo, Loin de mon père, paru en 2010 en français et traduit en 2014 par Amy Baram Reid, repose, tout comme dans le cas des ouvrages mentionnés ci-dessus, sur le besoin de la protagoniste de comprendre son passé, de déchiffrer la relation complexe avec le père, relation souvent assombrie de secrets, de même que sur le désir de poser un nouveau regard sur un avenir plus serein et cohérent.

Les lecteurs se retrouvent, dès la première page, témoins d’une tension presque palpable, celle qu’éprouve la protagoniste, Nina. La voix narrative dépeint en phrases courtes, débordant de sombres interrogations, l’image de la fille du docteur Kouadio Yao, tourmentée par une insomnie écrasante et visiblement dans les griffes de l’angoisse: d’une part, à cause de la mort de son père qui constitue la raison de son retour en Côte d’Ivoire, son pays natal, d’autre part, inquiète de ne pas savoir comment gérer son absence que redouble “la force de l’exil qui l’a frappée comme un fouet” (10). Comment va-t-elle retrouver son pays dont l’image est faite de souvenirs qui ne correspondent probablement plus à la réalité?

La sensation de déroute est largement amplifiée dans ce pays divisé, défiguré par la guerre civile, dans une capitale surpeuplée, consolidée par des postes de contrôle, symboles de violence latente et d’instabilité. À cette sensation d’incertitude chaotique s’ajoute le spectacle tantôt irritant, tantôt rassurant, des membres de la famille, de ces envahisseurs qui s’étaient installés dans la maison (Quelle maison? Pas la sienne, puisque son père n’y est plus). Le fait que le père décédé ait été une personnalité influente du milieu médical d’Abidjan transforme les formalités de préparation des funérailles en un processus complexe, interminable, qui ne fait que prolonger inutilement la douleur de Nina.

L’atmosphère dans la maison envahie de visiteurs illustre le chaos que traverse le pays: un mélange paradoxal de solidarité familiale exprimée par l’organisation des funérailles par comités mais aussi de tentatives d’escroquerie dont celle du cousin Nyamké, avide d’argent et profitant sans honte de la débandade des premiers jours qui suivent la mort du patriarche. Figure idéalisée par la communauté et par sa propre fille, le père, comme l’apprend Nina, avait mené une vie dont elle connaît très peu les particularités. Les funérailles ajournées permettent à la protagoniste de faire des découvertes surprenantes, de reconfigurer ses valeurs et de réévaluer [End Page 213] ses sentiments envers son père dont, tout comme Leïla Sebbar, elle ne parle pas la langue. A-t-il fait exprès de garder une certaine distance?

Au cœur du roman se retrouve donc ce voyage dans le passé qui permet à Nina de reconstituer sa mémoire fragmentée. Toute hermétique qu’elle semble avoir été, la vie de l’ancien médecin ne demeure pas un mystère absolu. Tenace, la protagoniste creuse dans le destin complexe du père, fouille ses documents, témoins d’une existence chargée de victoires et de défaites pénibles et traverse par l’intermédiaire de ces révélations...

pdf