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  • Un regard sur le MaghrebSection dirigée par Alexandra Gueydan-Turek, Swarthmore College
  • Carla Calargé
Bey, Maïssa Hizya. Alger: Barzakh, 2015. isbn 9789931325925. 346 p.

Hizya, le roman éponyme de Maïssa Bey, est une exploration des pensées intimes d’une jeune Algérienne de vingt-trois ans qui vit de nos jours dans la Casbah d’Alger et qui médite sur l’amour, le mariage, les rêves des jeunes filles et les options dont celles-ci disposent dans un milieu où l’emprise de la tradition est encore très puissante. Issue d’une famille conservatrice et peu fortunée, la jeune protagoniste est aux prises avec un système patriarcal qui, depuis des siècles, a érigé la domination masculine en principe inébranlable et a institué des pratiques oppressives qui relèguent les femmes à des rôles secondaires caractérisés par la soumission et l’effacement. Nommée d’après sa grand-mère paternelle, Hizya est consciente qu’elle porte le prénom de l’héroïne du célèbre poème élégiaque de Mohamed Ben Guittoun, écrit au vingtième siècle en l’honneur de l’éblouissante fille d’Ahmed Ben el Bey qui défia son père et la société entière pour avoir le droit d’épouser son bien-aimé Sayed.

Au fur et à mesure que se développe la diégèse, les vers de Ben Guittoun servent de catalyseur aux rêves de la protagoniste mais aussi de déclencheurs à ses pensées et analyses, notamment celles qui sont relatives au contrôle des corps féminins et à la répression de leurs désirs. Cet artifice narratif permet à l’écrivaine de développer des considérations sur la littérature en établissant des parallèles, sinon des contrastes, entre, d’une part, l’amour et la passion charnelle chantés par le poème et, d’autre part, la discipline rigoureuse à laquelle sont assujettis les corps féminins dans les sociétés patriarcales. La voix de Hizya occupe la totalité de l’espace narratif, mais le récit est double dans la mesure où il se divise en passages rédigés à la première personne du singulier et en d’autres—reconnaissables grâce au recours aux italiques—qui représentent des énoncés dans lesquels la conscience de la jeune fille s’adresse à elle (à travers l’emploi de la deuxième personne) dans une sorte d’introspection destinée à remettre en question la véracité des propos tenus par la narratrice. Dans ces passages, les tergiversations ne sont pas permises; les demi-mesures, les euphémismes et les silences non plus car cette voix, comme le dit si bien Hizya, est précisément celle de “l’Autre. Je veux dire cette autre en soi. Cette autre que l’on tente désespérément de tenir en laisse parce que l’on sait bien, oui, on sait ce qu’il nous en coûtera si elle parvient à se frayer un chemin jusqu’à la lumière du jour” (51). [End Page 190]

Titulaire d’un diplôme universitaire en traduction, Hizya se trouve, au début du roman, dans la situation de milliers de jeunes Algériens qui ne peuvent trouver d’emploi dans leur spécialité. En désespoir de cause, elle accepte de travailler comme shampooineuse dans un salon de coiffure. Ce faisant, son emploi lui assure une certaine indépendance financière et un accès à un milieu où les femmes, tout âge confondu, oublient les nombreuses contraintes qui régissent leur vie et libèrent leur parole de la censure qu’elles s’imposent au quotidien. Dans le salon où elles viennent se (re)faire une beauté, ces femmes se racontent leur histoire personnelle, se réconfortent et s’entraident. À travers leurs récits se dévoile une Algérie multiple: celle de Madame M., médecin-chirurgien, qui vit au milieu des livres dans son bel appartement algérois, celle de Sonia qui veut se marier à un homme résidant à l’étranger pour pouvoir échapper à toutes les difficultés...

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