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  • Histoire de nègre ou le début d’une “aventure théâtrale” avec Édouard Glissant et l’Institut Martiniquais d’ÉtudesEntretien avec Juliette Éloi-Blézès
  • Suzy Cater (bio)

L’Institut Martiniquais d’Études (l’ime) est une école privée en Martinique, fondée en 1967 par le philosophe Édouard Glissant, à un moment où l’école publique aux Antilles prônait l’assimilation à la France et ne transmettait pas aux élèves d’informations spécifiques sur leur héritage historique ou culturel. Pour Glissant, l’ime devait par conséquent fonctionner “non seulement comme un établissement d’enseignement, mais encore comme un complexe culturel,” afin “[d’]ouvrir les esprits aux problèmes du monde contemporain,” de susciter “l’audace créatrice” et “[d’]élargir la conscience sur l’environnement caraïbe” (Acoma 141). Cependant, il existe peu d’analyses des projets culturels lancés par Glissant à l’ime,1 et ce volet de son œuvre aussi bien que les collaborations artistiques qui ont eu lieu à l’Institut sont encore à explorer.

L’entretien qui suit offre à ce sujet un témoignage de Juliette Éloi-Blézès, qui a enseigné le français et la littérature à l’ime entre 1970 et 2008. Elle y a participé à divers ateliers de recherche et a notamment fait partie du groupe de théâtre de l’Institut. Sous la direction de Glissant, ce groupe a créé et interprété plusieurs pièces en Martinique dans les années 1970, dans le but de rendre la représentation théâtrale plus accessible à un public populaire et de mettre la population locale en contact avec l’histoire et la littérature antillaises. En 1976, le groupe a voyagé en Jamaïque pour présenter un montage poétique, West Indies, au festival de la Carifesta. Aujourd’hui, Juliette Éloi-Blézès continue à contribuer à la diffusion du patrimoine littéraire caribéen et à sa transmission aux jeunes Antillais.2 Dans cette interview, elle décrit en [End Page 42] détail sa participation au groupe de théâtre de l’ime et surtout la manière dont la pièce Histoire de nègre, un montage original de textes de diverses origines qui traitent de l’histoire noire, a été construite et représentée en Martinique entre 1970 et 1971.

Son discours complexifie ainsi la vision du théâtre antillais des années 1970–qui a été dépeint comme un théâtre “[d’]agitprop” (Jones, “French” 277)–et alimente une réflexion plus large sur le genre dans le contexte des Caraïbes. Son évocation du travail du groupe pour adapter les textes aux besoins scéniques et le fait qu’elle révèle que Glissant a écrit des scènes originales pour Histoire de nègre afin de lier les citations différentes et de les transformer en une véritable expérience théâtrale, sont des détails essentiels dans un contexte critique où “le metteur en scène et l’acteur comme forces d’origine de la pratique scénique sont plus ou moins passés sous silence par ceux qui observent la scène aux Antilles” (Ruprecht). De plus, ce qu’elle divulgue à l’égard des réactions et des répliques spontanées du public martiniquais3 rassemblé sur les places publiques pour les spectacles évoque une culture d’oralité propre aux Antilles, où, comme dans le cercle autour du conteur, l’intervention de l’auditoire fait partie intégrante de la représentation.4

L’aventure collective décrite ici représente aussi un exemple rare et frappant du contact interculturel entre les Antilles francophones et les îles voisines.5 Les professeurs qui ont fait partie du groupe de théâtre étaient originaires de divers lieux du bassin caraïbe, et leur attitude ouverte envers la question de la langue dans Histoire de nègre6—qui s’inspire de cette dynamique de diversité et de la pensée philosophique de Glissant—se distingue de celle de la plupart des autres productions engagées jouées en Martinique pendant les années 1970.7 Cela renvoie au fait que, [End Page 43...

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