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  • L’adaptation transculturelle de Thérèse Raquin de Zola dans Thirst, film coréen1
  • Antoine Coppola and Lee Ji-soon

Si la modernité occidentale a souvent été analysée au miroir de la culture orientale, l’adaptation de Thérèse Raquin (1867) d’Émile Zola dans Thirst, ceci est mon sang (2009), film coréen de Park Chan-wook, dénote un retournement de cette perspective: la modernité occidentale semble y être instrumentalisée pour aiguiser des enjeux locaux. En partant de deux archétypes de la culture occidentale, le roman naturaliste de Zola et le genre du film fantastique, Thirst s’apparente à un simulacre du film de vampires dont Thérèse Raquin serait, en termes narratologiques, le palimpseste. Dans Différence et répétition, Deleuze définit le simulacre comme un faux prétendant à la copie, une entité différentielle “sans ressemblance interne” (340) à l’original. Ce que Ropars-Wuilleumier reprend pour le cinéma en écrivant que “En bon simulacre, la copie fait vaciller les traits du modèle.”2 Le processus hypertextuel à l’œuvre dans l’adaptation transculturelle débouche, donc, sur un métatexte tout particulièrement relatif aux enjeux idéologiques de la modernité coréenne de réception, comme si l’enjeu consistait à forcer la culture-cible à se remettre en question à travers l’intrus ou le miroir déformant de la culture étrangère,3 elle-même soumise à une relecture critique.

D’emblée, cette adaptation se présente sur deux niveaux. La transposition d’un roman naturaliste dans un film de vampires, d’abord: cette transformation est moins surprenante, si tant est qu’on l’évalue à l’aune de la morbidité et de la notion zolienne de tempérament qui animent le roman. Le second niveau opère la transposition de l’espace français du XIXe siècle dans l’espace coréen actuel. La figure de l’artiste révélé chez Zola trouve, ainsi, des équivalences chez le prêtre et le vampire de Thirst qui développent des thèmes similaires adaptés à une réception nouvelle. La critique sociale du roman est plus directement décalquée, mais augmentée d’un sous-texte post-colonialiste [End Page 141] critique de l’occidentalisation, qui remet à jour des références à la culture chamanique coréenne. La critique sociale se généralise en critique civilisationnelle, d’abord portée par des thèmes nietzschéens (ressentiment, surhumanité, culpabilité), avant d’exhumer des notions chamano-taoïstes (“Jajusong” l’homme souverain, immortalité, métempsychose).

La place de l’œuvre face à sa réception moderne ouvre sur des problématiques plus largement théoriques. Les notions d’acclimatation à la culture-cible et de respect de la culture-source, chères à Venuti4 et issues de la traductologie, ainsi que les théories bipolaires coréennes de “Chintopuli” (primauté coréenne) et “Segyehwa” (ouverture à l’étranger), ne cernent qu’en partie le texte filmique postmoderne de Thirst. Elles omettent, notamment, la subjectivité et la folie, qui sont à la fois ses thèmes et les garants de la liberté d’un auteur démiurge transculturel. Des notions de “calques”5 transculturels comme art expérimental de l’altérité, au-delà des contingences spatiotemporelles (géo-politiques), et de “tradaptation” (détournement critique de l’original pour subvertir le nouveau contexte de réception) paraissent plus à même d’élucider le processus à l’œuvre dans Thirst.

1-Aspects humains: Dialectique corps-esprit

1.1 Les “corps étrangers”: excuses et subversion

La dimension artistique originelle du personnage de Laurent est absente de son personnage-simulacre, Sang-hyun. Cette “domestication” par omission est liée au statut de l’artiste en Corée—un statut resté relativement “traditionnel” et étranger à la pensée romantique occidentale du xixe siècle, qui lui a conféré des valeurs liées à la subjectivité et aux tourments métaphysiques. Étonnamment, les figures du prêtre et du vampire qui s’y substituent dans le film sont aussi référées à l’Occident: elles portent en elles la dimension “étrangère” de la chrétienté occidentale. En ce qui concerne le...

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