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  • L’Ennui : histoire d’un état d’âme (XIXe-XXe siècles) dir. par Pascale Goetschel et al.
  • Nicole Edelman
Pascale GOETSCHEL, Christophe GRANGER, Nathalie RICHARD et Sylvain VENAYRE (dir.). – L’Ennui : histoire d’un état d’âme (XIXe-XXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, 317 pages.

« Est-il possible d’échafauder une histoire de l’ennui ? Ou plus exactement, comment se donner les moyens de faire de ce sourd sentiment d’insatisfaction, probablement vieux comme le monde et rétif aux définitions trop bien taillées, un objet d’histoire ? » (p. 8). Un colloque a réuni à la fin de l’année 2007 historiens, sociologues, littéraires et philosophes pour chercher à répondre à cette question dont le livre reprend la substance à travers vingt-et-une contributions. Décliné de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, ce phénomène de l’ennui est examiné et analysé sous bien des facettes, dans sa manière de le dire, dans les savoirs, médicaux en particulier, qui le prennent en charge, dans les lieux et les temps qui l’expriment et le racontent. L’ouvrage regroupe ainsi les textes en trois grandes parties : « De la philosophie à la médecine », « De nouvelles manières de dire » et « Les cadres modernes de l’expérience ennuyeuse », donnant refuge à la grande diversité des approches. L’ennui fut en effet aux XIXe et XXe siècles au cœur des recherches de fort nombreux écrivains, romanciers, savants ou philosophes. Pour n’en citer que quelques-uns, mentionnons « Senancour, l’artiste qui fit de l’ennui l’origine d’une esthétique originale ; Auguste Comte, le philosophe qui chercha dans l’ennui un facteur de développement humain ; Brierre de Boismont, l’aliéniste, qui, au milieu du XIXe siècle, fit de l’ennui une des formes les plus répandues de la folie et donc, suivant les leçons de son maître Esquirol, une maladie de civilisation ; Édouard Claparède, le pédagogue dont l’attention portée à l’ennui de l’élève s’inscrivait dans une histoire longue de la conception de l’ennui [End Page 133] comme frein à l’apprentissage ; Émile Tardieu, le médecin qui acheva de nouer les fils reliant l’ennui à la conception moderne de la fatigue » (p. 301–302). Ce dernier consacrait en effet en 1903 une étude psychologique à l’ennui, qui lui paraissait une réalité typique d’un monde moderne né des Lumières et de la Révolution française, ainsi que de l’ère industrielle nouvelle. L’ennui devient alors une pathologie mentale diagnostiquée à l’asile ou par la médecine légale. Il pose aussi problème lors des guerres coloniales ou européennes, qu’il s’appelle nostalgie, cafard, neurasthénie ou simplement fatigue, et prend plus récemment le nom de « stress post-traumatique ». Sur un autre registre, les poètes et les romanciers de l’âge romantique se posent à leur tour la question du sens de ce vide, de cette vacuité de l’existence. Quelle signification lui donner ? Les réponses sont loin d’être monocordes, certains le décrivent et en analysent les effets, d’autres produisent une œuvre à partir de ce rien. Flaubert n’a-t-il pas eu l’ambition d’écrire « un livre sur rien » ? L’ennui est enfin observable à partir de lieux, de temps, de figures qui offrent à l’observateur un mélange d’épreuves et d’apprentissages de l’ennui, d’expériences ennuyeuses et de diagnostics pour le pallier ou l’éradiquer. Il se déploie dans bien des espaces et des moments : ennui parlementaire, ennui dans la gendarmerie, dans les gares, dans les ateliers, ennui dominical… Il peut même participer à l’émergence de catégories sociales, ainsi la vieille fille ou la jeune femme désœuvrée des Trente Glorieuses. L’ennui n’est donc pas seulement un sentiment, un trait anthropologique, il a bien une histoire que toutes sortes de plumes ont écrite : jeunes, femmes ou hommes, sédentaires ou voyageurs, cadres, ouvriers ou artistes, savants ou philosophes. Il...

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