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  • ÉditorialVers un désenclavement de l’histoire de la psychiatrie
  • Isabelle von Bueltzingsloewen

Les deux contributions rassemblées dans ce dossier, rédigées par deux jeunes chercheuses en fin de thèse, attestent de la vitalité d’un champ de recherche longtemps boudé par les historiens français. Outre les psychiatres eux-mêmes1, l’histoire de la psychiatrie – entendue à la fois comme une spécialité médicale qui définit, catégorise et s’applique à traiter les maladies mentales et comme une institution qui organise la prise en charge, médicale et sociale, de ceux qui en sont atteints – a en effet d’abord mobilisé les philosophes et les sociologues. Aiguillonnés par les travaux pionniers de Michel Foucault2, dans un contexte marqué par l’affirmation d’un vigoureux courant anti-psychiatrique alimenté par un non moins vigoureux mouvement de critique des institutions3, ces derniers ont entrepris, de concert avec un certain nombre de professionnels de la psychiatrie, de dénoncer le « pouvoir psychiatrique »4, accusé de relayer, à l’instar de l’armée ou de l’école, une entreprise bourgeoise de normalisation et de domination de la société5. Arrivés, à quelques exceptions près6, après la bataille, les historiens n’ont pour ainsi dire pas participé au débat qui a marqué les années 1970–1980. Tout en manifestant leur volonté de se démarquer d’approches perçues comme idéologiques, ils se sont cependant laissé interpeller par la problématique de la « médicalisation [End Page 3] de la folie ». Et ont, eux aussi, choisi, dans un premier temps, de focaliser leur attention sur la séquence fondatrice de la psychiatrie, soit sur ces trois décennies, qualifiées d’ « âge d’or de l’aliénisme7 », s’étendant du vote de la loi du 30 juin 1838 – qui promeut l’asile départemental d’aliénés comme lieu et mode de traitement de l’ « aliénation mentale » – jusqu’au milieu des années 1860 marquées, déjà, par l’émergence de violentes critiques contre une institution jugée liberticide8.

L’arrivée des historiens dans le champ de la psychiatrie a stimulé la réflexion sur les sources et leurs usages. Conformément aux exigences de la discipline, la nécessité s’est progressivement imposée d’élargir un corpus jugé insuffisamment diversifié. L’histoire de la psychiatrie a en effet pour l’essentiel été écrite à partir de trois ensembles documentaires riches et facilement accessibles. L’abondante production scientifique des psychiatres (thèses, ouvrages, articles de revues, communications dans des congrès ou devant des sociétés savantes, manuels) constitue un premier ensemble à partir duquel peut s’écrire une histoire de la nosologie psychiatrique9 et peuvent être restitués les débats, parfois houleux, qui ont opposé les uns aux autres, conduisant à la formation d’écoles rivales. La discussion sur la pertinence de bousculer la classification des maladies mentales pour créer une nouvelle entité diagnostique qui prenne en compte les troubles multiples qui affectent les combattants de la Grande Guerre n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. À ce premier ensemble se rattachent les échanges qui ont pris place dans les instances représentatives de ceux que l’on a longtemps qualifiés de « médecins spéciaux »10. Très peu nombreux jusque dans les années 1960, souvent isolés, et surtout mal perçus par un corps médical hostile au statut de médecin-fonctionnaire, les psychiatres ont développé des stratégies de légitimation, individuelles et collectives, qu’il convient d’identifier. Ainsi, tout au long du XIXe siècle, ils ont dépensé beaucoup d’énergie à faire reconnaître leur expertise dans l’enceinte des tribunaux, contre l’avis d’une majorité de juristes avec lesquels ils se sont trouvés en concurrence. Les sources parlementaires et réglementaires forment un deuxième ensemble, lui [End Page 4] aussi pléthorique. Les débats qui ont mobilisé députés et sénateurs, en particulier ceux, étudiés par Claude Quétel et Jan Goldstein, qui ont préc...

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