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Reviewed by:
  • Brotherly Love: Freemasonry and Male Friendship in Enlightenment France by Kenneth Loiselle
  • Pierre-Yves Beaurepaire
Kenneth Loiselle Brotherly Love: Freemasonry and Male Friendship in Enlightenment France Ithaca, Cornell University Press, 2014, 261 p.

Cette étude très documentée est le fruit de nombreuses campagnes de dépouillement d’archives dans le fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que dans de nombreux dépôts municipaux et départementaux. Celles-ci ont permis à Kenneth Loiselle de réunir un vaste corpus, pour l’essentiel inédit, de correspondances, de rituels manuscrits et de discours d’orateurs. L’historien américain montre non seulement que la « franc-maçonnerie est un sanctuaire dédié à l’amitié », mais aussi comment les francs-maçons du siècle des Lumières – « Âge de sentiment » (p. 17 et 156) – vivent l’amour fraternel hors de la clôture du temple, et y puisent des ressources morales pour faire face aux aléas de la vie personnelle et tenter de répondre aux défis d’un temps riche en tensions sociales.

Ce livre se revendique d’une « histoire sociale des idées » (p. 9) et revisite, à partir de la problématique de l’amitié masculine, l’ensemble du projet maçonnique du xviiie siècle. Au-delà, il apporte une contribution précieuse à l’étude de la sociabilité masculine, en mobilisant la grille interprétative de l’anthropologue Julian Pitt-Rivers. L’auteur distingue ainsi une « amitié ritualisée » (p. 47-80), qui voit le candidat à l’initiation quitter son enveloppe profane pour s’éveiller à la vie fraternelle lors de sa réception dans le temple des amis choisis, d’une « amitié déritualisée » (p. 110-155), qui unit les frères hors du sanctuaire, dans leur quotidien, notamment leurs rencontres personnelles, ou, par-delà la distance ou l’inactivité maçonnique, dans leurs échanges épistolaires. Il y ajoute une « amitié sentimentale » (p. 156-200).

L’auteur ne sous-estime pas l’importance de l’héritage du modèle cicéronien (De Amicitia) sur les contemporains du chevalier de Ramsay, dont le célèbre « Discours » de 1737 fonde l’idéal maçonnique chevaleresque, chrétien et savant de la Grande Loge et, audelà, de la Maçonnerie européenne. Il rappelle que, dans son Essai philosophique sur le gouvernement civil, Ramsay, en disciple de Fénelon, pose : « Je n’entends point par être sociable, vivre ensemble et se voir dans certains lieux et en certain temps : les bêtes les plus féroces le sont de cette sorte. On peut se voir chaque jour sans être en commerce de société ; on peut vivre séparé de tous les hommes et être sociable. Par société, j’entends un commerce mutuel d’amitié1. »

K. Loiselle voit surtout dans l’amitié le fondement du projet maçonnique en tant qu’« utopie de refondation » (utopia of reconstruction) (p. 36), par opposition à la catégorie de l’« utopie de fuite » (utopia of escape) créée par Lewis Mumford. En rupture par rapport à l’amour de soi, aux calculs et à la jalousie qui polluent les relations pseudo-amicales du monde profane, les francs-maçons construisent patiemment le temple de l’amour fraternel en abandonnant sur son seuil leurs « métaux », c’est-à-dire leurs prétentions et leurs préjugés. L’amitié ritualisée qu’ils scellent au fil des cérémonies d’initiation et des tenues de loge montre que la chaîne d’union qui symbolise la fraternité maçonnique est bien une chaîne d’amitié. Les noms des loges, ou titres distinctifs dans le vocabulaire maçonnique, le rappellent à l’envi : le temple réunit les amis choisis et les amis parfaits – par opposition aux amis intéressés du monde profane.

Dans ces conditions, il est impossible pour la plupart des francs-maçons d’envisager l’ouverture du sanctuaire aux femmes, même dans le cas de la maçonnerie dite « d’adoption », qui admet les femmes mais sur le pied inégal d’une mixité sans parité. Si la présence féminine permet de...

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