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Reviewed by:
  • Bible, lettres et politique. L’Écriture au service des hommes à l’époque de Thomas Becket by Julie Barrau
  • Amélie De Las Heras
Julie Barrau Bible, lettres et politique. L’Écriture au service des hommes à l’époque de Thomas Becket Paris, Classiques Garnier, 2013, 573 p.

Dans la société médiévale occidentale telle qu’on l’entend, c’est-à-dire ordonnée prioritairement par le fait religieux, conférer la plus haute autorité à la Bible n’est pas un donné inconditionnel. La thèse de Julie Barrau explique une partie de ce contraste dans le cadre de l’effervescence [End Page 756] du xiie siècle. Certes, elle souligne avant tout l’importance de l’autorité accordée aux Écritures lorsque celles-ci furent mobilisées dans des textes non spécifiquement religieux, en l’espèce au sein des âpres échanges épistolaires (plus de 800 lettres) engendrés par l’affaire politico-juridique qui opposa l’archevêque Thomas Becket au roi Henri II Plantagenêt. Le clan Becket convoqua abondamment le texte sacré pour renforcer autant sa cohésion que l’efficacité de son argumentation : dans les débats politiques ou juridiques, la Bible est une arme sous leur plume. Mais en examinant l’usage des Écritures dans le corps référentiel de ces échanges, l’étude met finalement en relief une autre réalité : sans linéarité mais avec une tendance nette, les sphères royales et savantes ordonnancent et norment si bien le champ des autorités dans la seconde moitié du xiie siècle qu’elles en viennent de fait à affaiblir l’effet d’une convocation scripturaire.

Il faut souligner le plaisir réel ressenti à la lecture de cette enquête rendue dans un style faisant honneur à sa matière rhétorique et fondée sur une démonstration finement ciselée. J. Barrau en consolide chaque étape grâce à des mises au point historiographiques denses mais précises. Ces synthèses ne visent pas uniquement l’information érudite d’un lecteur peu familier avec la matière, elles arpentent rigoureusement l’espace des possibles dans lequel évoluent les auteurs convoqués (tels Thomas Becket, Jean de Salisbury ou Gilbert Foliot). Elles légitiment ainsi l’interprétation selon laquelle les phénomènes épistolaires adossés à la Bible ne relèvent pas seulement de traditions ou de prescriptions mais aussi de choix, de stratégies pensées qui demandent à être explicitées. Dans une longue introduction, l’auteure détaille à cette fin la culture biblique des clercs qui s’affrontent ou se soutiennent par lettres interposées dans les années 1160. À l’aide d’autres dossiers épistolaires prenant la valeur de corpus-témoins, tel celui de Pierre de Celle, elle montre que la pratique scripturaire n’est pas uniquement façonnée par le milieu d’instruction biblique d’un auteur, qu’il soit urbain ou monastique.

J. Barrau peut ainsi analyser dans la première partie de l’ouvrage les modes de convocation des écritures saintes dans la matière épistolaire et leurs enjeux, sans préjugé. Ces modes sont détaillés dans leur variété, du verbatim au réécrit, du littéral au référentiel ; il y a lieu de saluer notamment l’identification des « halos » (p. 112), ces constellations d’occurrences cherchant à évoquer chez le lecteur des mots bibliques voisins, épaississant par inter-textualité le discours explicite. Des profils bibliques sont dressés suivant l’abondance ou la rareté des effets scripturaires, particulièrement notables dans le clan Becket. L’objectif de ces clercs ne relève pas d’une simple ornementation stylistique et encore moins du souci d’obéir à l’ars dictaminis émergent, l’auteure démontrant que celui-ci structure peu l’écriture dans ce corpus. Les recours aux Écritures sont travaillés en fonction de la capacité du destinataire à les reconnaître et à en apprécier l’éventuelle virtuosité. Ils peuvent même viser à créer des effets de connivence, y compris par un humour sous-jacent. En outre, lorsqu’ils prennent place au sein de l’« écriture d’une conviction » (p. 23-24), leur...

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