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Reviewed by:
  • Jean de Salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme by Christophe Grellard
  • Elsa Marmursztejn
Christophe Grellard Jean de Salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme Paris, Les Belles Lettres, 2013, 335 p.

Ce livre se présente comme la première étape d’une histoire du scepticisme médiéval qui vise à restituer le chaînon manquant d’une tradition philosophique beaucoup mieux documentée pour l’Antiquité et pour l’époque moderne. Cette enquête d’histoire de la philosophie, inscrite – mais non conduite – dans la longue durée, revendique un objectif et une méthode qui définissent précisément son champ : il s’agit, pour dégager une « forme autochtone de scepticisme médiéval » (p. 17), de s’attacher aux conceptions proprement médiévales de cette philosophie antique, à ses modalités d’appropriation et aux mutations induites par son acclimatation en milieu chrétien.

L’enquête se fonde sur le cas, jugé exemplaire, de Jean de Salisbury (v. 1120-1180), qui fut en effet l’un des rares philosophes médiévaux, sinon le seul, à se revendiquer explicitement du scepticisme néo-académicien représenté par Cicéron. Auditeur d’Abélard, de Gilbert de la Porrée ou de Guillaume de Conches, Jean de Salisbury fut un acteur célèbre de la « renaissance du xiie siècle ». Également formé en droit, il fut le secrétaire de l’archevêque Thibaud de Canterbury, puis de son successeur, Thomas Becket, auquel ses principales œuvres sont dédiées. Il connut, en tant que clerc curial, les vicissitudes de la vie politique de son temps. La question de savoir « comment un tel administrateur ecclésiastique a pu trouver dans une philosophie antique, désavouée par la plupart de ses contemporains, un fondement théorique à sa pratique sociale et politique » débouche sur le portrait d’un intellectuel impliqué dans le monde et appliqué [End Page 754] à penser les conditions de l’implication des philosophes dans le monde (p. 18).

La perspective est monographique. De fait, le cas de Jean de Salisbury fait figure d’hapax dans un contexte globalement hostile à une thèse jugée extrême, irrationnelle, et le plus souvent réduite à l’affirmation de l’impossibilité du savoir. Christophe Grellard estime qu’il permet néanmoins « de déterminer un modèle pour penser le scepticisme médiéval » (p. 215). La perception négative dont cette philosophie était l’objet n’excluait pas en effet la possibilité d’une « appropriation instrumentale » (p. 14), fondée sur une certaine lecture d’Augustin. Le scepticisme professé par Jean de Salisbury apparaît ainsi comme « un cicéronisme mâtiné d’augustinisme » (p. 17), c’est-à-dire comme un scepticisme modéré, un « probabilisme » dont l’usage se conçoit dans les limites du dogme chrétien et qui donne lieu à la recherche de nouveaux outils cognitifs, ponctuels et adaptés, pour pallier les défaillances inhérentes à la connaissance humaine.

L’enquête ne se cantonne pas au domaine épistémologique. Le scepticisme affecte également les méthodes pédagogiques et argumentatives préconisées par Jean de Salisbury et suppose l’adhésion à une certaine forme d’éthique. Aussi ce « scepticisme global », fondé sur la modération du jugement théorique comme de l’action, est-il proposé comme une clé de lecture de l’ensemble de son œuvre, dont les aspects politiques sont toutefois renvoyés à une étude ultérieure. Le Policraticus n’est pas envisagé ici comme un traité de philosophie politique, mais en tant qu’il « relève véritablement d’une écriture sceptique dont il faut être conscient quand on l’aborde » (p. 27).

La reconstruction des différentes facettes du phénomène sceptique (épistémologie, humanisme, éthique) s’effectue en trois étapes, précédées d’un bref chapitre de mise en « contexte historique et sociologique », de facture assez classique. Aux repères biographiques succède un compte rendu linéaire du contenu des œuvres, qui accentue les points d’accroche de l’étude du scepticisme développée dans les chapitres suivants et...

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