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Reviewed by:
  • La nature comme source de la morale au Moyen Âge ed. by Maaike van der Lugt
  • Iacopo Costa
Maaike van der Lugt (dir.) La nature comme source de la morale au Moyen Âge Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2014, vi-441 p.

Le rapport entre nature et morale est un enjeu philosophique majeur, sur lequel les différentes traditions ne s’accordent pas. Pour la tradition aristotélicienne, la morale est un développement et un perfectionnement de la nature ; pour Emmanuel Kant, au contraire, les principes suprêmes de la morale (le devoir et la liberté) doivent se soustraire aux lois de la nature. D’autres – par exemple dans la pensée anarchiste – tentent également de nier la différence entre nature et morale et de poser les bases d’une anthropologie entièrement naturaliste (ou physique). La perspective de la théologie chrétienne est toute différente : en effet, le récit de la Genèse, avec l’interprétation qui en a été donnée à partir de saint Augustin au moins, oblige à penser ce rapport à la fois comme conflictuel (la nature humaine, affaiblie par le péché, manifeste un penchant inné envers le vice et le mal) et harmonieux (la nature étant un don gracieux de Dieu, qui la régit avec sagesse et justice). Ce recueil d’études analyse le rapport entre nature et morale entre le xiie et le xve siècle sous un point de vue particulier selon lequel la nature est une source de la morale.

D’une grande clarté, l’étude de Maaike van der Lugt qui ouvre le volume constitue à la fois une introduction au problème et une présentation des contenus du recueil. Quelques points significatifs peuvent être retenus et discutés. D’abord, la mise en relation de questionnements médiévaux et de disciplines modernes, comme la sociobiologie et la psychologie évolutionniste, présente un intérêt majeur. Ensuite, l’utilisation de la littérature médicale médiévale apporte une lumière nouvelle sur des concepts philosophiques ou moraux classiques ; les « cas limites » – comme ceux du loupgarou, des naissances monstrueuses ou des pygmées – stimulent la production conceptuelle de manière inattendue. Néanmoins, la référence au phallocentrisme médiéval semble peut-être un peu convenue. Surtout, on ne voit pas comment concevoir que « l’autorité de la nature construit l’anthropocentrisme, l’ethnocentrisme et le phallocentrisme caractéristique de la société médiévale et [que] c’est sur ce socle que se fonde la loi naturelle » (p. 23). De deux choses l’une, soit la nature (et donc la loi naturelle) fonde l’anthropocentrisme, l’ethnocentrisme et le phallocentrisme, soit ces trois caractères fondent la loi naturelle. Il aurait d’ailleurs été souhaitable d’expliquer, sinon [End Page 751] philosophiquement, du moins du point de vue de la culture, comment anthropocentrisme, ethnocentrisme et phallocentrisme se lient entre eux et en quoi le phallocentrisme médiéval se distingue par exemple de celui de la Grèce ancienne ou de celui de l’Europe moderne.

Il convient de revenir sur l’interprétation qui est donnée ici de l’article 166 de la condamnation de 1277, puisqu’elle pourrait entraîner des incompréhensions graves autour de la morale sexuelle médiévale. Cette lecture semble prêter à l’évêque Étienne Tempier une ouverture d’esprit plus que surprenante. Lorsqu’on lit la proposition 166 du syllabus, « Quod peccatum contra naturam, utpote abusus in coitu, licet sit contra natura speciei, non tamen est contra naturam individui », il faut entendre que l’évêque condamne la position d’après laquelle « l’abusus in coitu serait un péché contre l’espèce mais s’accorderait avec la nature de certains individus » (p. 27). Loin d’affirmer que les rapports homosexuels « peuvent correspondre à la nature d’un individu particulier », l’évêque affirme que ces rapports sont contraires à la nature de l’espèce mais aussi à celle de tout individu. Toute la proposition est ainsi condamnée en bloc. En outre, rien ne permet d’affirmer que l’article vise les rapports...

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