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Reviewed by:
  • La tortue et la lyre. Dans l’atelier du mythe antique by John Scheid et Jesper Svenbro
  • Rocco Marseglia
John Scheid et Jesper Svenbro La tortue et la lyre. Dans l’atelier du mythe antique Paris, Cnrs Éditions, 2014, 230 p.

On sait à quel point le structuralisme de matrice lévi-straussienne a empreint les études en sciences sociales dans la seconde moitié du xxe siècle et combien son influence s’est exercée depuis lors sur les travaux consacrés à la mythologie grecque et latine. La démarche structuraliste a néanmoins connu, dans les dernières décennies du xxe siècle, plus d’une remise en question critique. La publication, en 1981, de L’invention de la mythologie de Marcel Detienne a notamment eu le mérite d’ouvrir la voie à une analyse critique de l’histoire et de la relativité de la science des mythes. Plusieurs chercheurs ont dès lors remis en question la validité de la méthode structurale en préférant aborder les mythes dans leur fonction opératoire en adoptant une perspective pluridisciplinaire.

L’ouvrage de John Scheid et Jesper Svenbro s’insère de manière originale dans ce contexte. La méthode utilisée reste largement redevable à l’analyse structurale et utilise volontiers le système typique des oppositions binaires (en particulier le chapitre 4 et le tableau p. 121). S’ils affichent, voire revendiquent, ce rapport au structuralisme dans l’introduction lorsqu’ils dressent le catalogue des références qui ont orienté leurs propres études, les auteurs tiennent cependant à se démarquer fermement de Claude Lévi-Strauss et de sa vision centrée sur la dimension narrative du mythe. C’est dans cette idée d’un mythe non narratif qu’il faut situer l’intérêt principal de cette étude. Si dans un ouvrage commun précédent, paru il y a désormais vingt ans, les auteurs analysaient la « métaphore partagée » du tissage en la considérant comme un mythe, concept lui-même défini comme une « concaténation de catégories »1, ils approfondissent dans La tortue et la lyre l’analyse de la démarche « générative ». Comme le souligne le sous-titre, c’est la mytho-poïésis qui est au centre de l’enquête, c’est-à-dire la manière dont des « associations symboliques préexistantes », que les auteurs appellent « mythes », « servent de matrices à l’élaboration des récits mythologiques » (p. 17).

Issu des séminaires communs tenus par les auteurs à l’École pratique des hautes études (Ephe), l’ouvrage rassemble six études précédées d’une importante introduction. Tout en retraçant l’origine de ce travail et les influences qui lui ont fourni son orientation, l’introduction permet à la fois de définir la démarche générative dans les termes que nous avons rappelés plus haut et de préciser les deux manières dont le processus mytho-poïétique est envisagé : le récit mythologique peut se créer soit à partir d’un objet symboliquement chargé, [End Page 743] soit à partir d’un nom propre et des différentes associations symboliques rendues possibles par la langue. Ainsi, par exemple, dans le récit de la fondation de Carthage, ce serait le nom (non grec) de la ville qui, re-sémantisé en grec sous la forme Bursa, aurait créé un récit de fondation dans lequel la bursa, « peau de vache », joue un rôle important. Ce passage au récit serait par ailleurs rendu possible par le symbolisme politique de la peau de vache, que les auteurs s’efforcent de mettre en avant.

Les six études se présentent comme des illustrations du processus esquissé dans l’introduction. Celle-ci permet de leur donner un cadre de lecture unitaire et de comprendre l’organisation du volume : même s’ils ne sont pas regroupés en sections thématiques, on voit bien à la lecture que les quatre premiers chapitres portent sur des objets, les deux derniers sur des noms propres. On peut regretter l’absence d’un cadre...

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