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Reviewed by:
  • Feeding the City: From Street Market to Liberal Reform in Salvador, Brazil, 1780-1860 by Richard Graham
  • Armelle Enders
Richard Graham Feeding the City: From Street Market to Liberal Reform in Salvador, Brazil, 1780-1860 Austin, University of Texas Press, 2010, xv-334 p.

Spécialiste de l’histoire sociale du xixe siècle brésilien, Richard Graham utilise le ravitaillement alimentaire de Salvador de Bahia comme le révélateur des transformations, des permanences et des contradictions que connaît la ville entre la fin de la période coloniale et la seconde moitié du xixe siècle. Les aspects économiques ne sont pas négligés, tant l’évolution des prix et du pouvoir d’achat que l’impact précoce des idées libérales au Brésil, en particulier à Bahia. Un chapitre entier, plaisamment intitulé «La viande, le manioc et Adam Smith», est d’ailleurs consacré à ce thème. C’est toutefois la société bahianaise sous toutes ses facettes – l’esclavagisme, les différents acteurs sociaux, leur hiérarchie, les mobilités individuelles possibles, le difficile démantèlement de la société d’ordres – qui guide la démarche de l’auteur.

Le commerce de bouche, dominé par les deux piliers de l’alimentation bahianaise que sont la viande bovine et la farine de manioc, relie directement et indirectement des espaces et des groupes sociaux normalement séparés: la ville et son arrière-pays (le Recôncavo), la ville haute, noble et résidentielle, et la ville basse où est localisé le «ventre» de Salvador, le grand commerce international et les vendeuses de rue, les libres de couleur et la haute société portugaise et créole, les marins, les cultivateurs et les bouviers. Ces contacts sont faits de solidarité, de complémentarité, mais aussi de frictions et de compétitions acérées. Les métiers liés à l’alimentation permettent d’exceptionnelles ascensions sociales, comme celle de l’esclave Ana de São José da Trindade, qui achète sa liberté, acquiert une licence de commerçante en 1807 et laisse à sa mort un confortable patrimoine, dont neuf esclaves.

R. Graham analyse et décrit chacune des corporations qui nourrissent Salvador. Au sommet trônent les propriétaires de boutiques, majoritairement des Portugais, qui vendent les articles de la métropole, l’huile d’olive et les vins, et des produits venus des quatre coins du monde: huile de palme africaine, thé et épices d’Asie. Les femmes noires, libres ou esclaves de gain, monopolisent presque entièrement le commerce des rues, sur le pas des portes ou dans les quitandas (baraques). Les dockers et les marins jouent un rôle essentiel. La majeure partie du trafic, proche ou lointain, s’effectue en effet par voie d’eau. Au milieu du xixe siècle, les quelque 8 000 marins de la région de Salvador sont pour moitié des libres de couleur, et pour l’autre moitié, à parts égales, des esclaves et des pauvres blancs. Les esclaves, 42 % des habitants de Salvador en 1842, sont partout, au contact de tous les milieux et disposent pour cette raison d’une réelle agency, individuelle, comme le montre la trajectoire d’Ana de São José da Trindade, ou collective, comme le suggère la capacité des marins ou des déchargeurs à préserver leur autonomie.

Les autorités, gouverneur (à l’époque coloniale) et conseil municipal, s’efforcent de réguler l’approvisionnement, stratégique pour la paix sociale. Cette préoccupation se traduit par la création du celeiro público (grenier public) en 1785 pour contrôler le marché de la farine de manioc, et celle des abattoirs municipaux en 1789. R. Graham voit dans les résistances à la libéralisation du secteur, qui s’expriment très vigoureusement dans les années 1830 et [End Page 263] 1850, un symptôme de la persistance de la société d’ordres à Salvador et la manifestation d’une mentalité d’Ancien Régime, marquée par l’attachement des populations à un gouvernement paternaliste et à la protection des faibles par les classes possédantes.

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