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Reviewed by:
  • Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale by Laurence Fontaine
  • Riccardo Rosolino
Laurence Fontaine Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale Paris, Gallimard, [2013] 2014, 442 p.

Il semblait que parler de marché pour la société de l’Ancien Régime n’avait plus de sens. Le piège de l’anachronisme avait poussé les historiens à parler de marchés, au pluriel, afin de souligner la présence simultanée de lieux ayant des règles spécifiques et des façons différentes de concevoir l’échange. Laurence Fontaine a renversé le cadre d’analyse d’une manière provocatrice. Les sociétés préindustrielles font émerger des éléments qui éclairent ce que le marché était auparavant et ce qu’il est maintenant. Le mot «marché» indique une manière de concevoir les échanges où les biens échangés font l’objet d’une discussion sur l’évaluation de leur valeur, une «discussion qui s’oppose à l’échange aristocratique fondé sur la prééminence de la noblesse qui, de droit, en dicte les termes. Les enjeux de la fixation du prix dépassent alors le seul domaine de l’économie pour toucher à l’organisation même des sociétés» (p. 8). L’affirmation du marché – une «conquête sociale» – ne s’est pas réalisée grâce au dérèglement des vieux rapports de force sur lesquels était établi l’ordre social. C’est davantage le marché qui a rendu possible une forme d’organisation sociale nouvelle. Comme l’a remarqué Max Weber, «le marché rend libre» (p. 16). Libérer l’économie de la société aurait donc mis en marche un processus de libération générale. La pensée de Karl Polanyi se trouve ainsi renversée.

Le marché – imposé comme un forum pour l’attribution de valeur aux choses – a soustrait cette prérogative à ceux qui avaient construit et gardé de manière acharnée leurs compétences et leurs pouvoirs en ce domaine. Il permettait aux plus faibles aussi bien d’échapper aux rapports qui les liaient verticalement aux plus puissants que de développer des stratégies de survie se transformant en de vraies sources d’enrichissement. Cela ne surprend pas non plus qu’Adam Smith représente l’un des piliers idéologiques sur lesquels a été construit cet ouvrage: il a été le premier à souligner le rôle joué par l’économie politique et les cultures [End Page 248] qu’elle a produites en libérant la société de ses limitations aristocratiques et en la repensant sur des logiques plus équitables.

Le monde mercantile de l’Ancien Régime est peint par l’auteure comme plein de vie, ouvert à tous: les riches et les pauvres, les résidants et les étrangers. Il échappe aux hiérarchies sociales, en faisant tomber les résistances politiques et les limites institutionnelles imposées pour le freiner. La preuve en est que «l’abolition des privilèges, la proclamation de la liberté du commerce, la désorganisation de l’État se sont traduites par une multiplication des créations de foires et marchés» (p. 67).

Les auberges sont au cœur de la société mercantile. Lieux d’échanges ouverts sur le monde extérieur et espaces publics populaires, elles échappent à la spécialisation, liant formel et informel, acculturant le peuple aux jeux du marché. C’est le lieu où l’on apprend à interagir avec le monde des affaires et où parvient une bonne partie de la production familiale, où les initiatives entrepreneuriales des individus ou des groupes de parenté aboutissent et où les populations les plus faibles, aussi bien des femmes que des hommes – en qualité d’acheteurs ou de vendeurs–, y trouvent de quoi survivre. Bien que l’accès aux circuits mercantiles soit un enjeu réservé, souvent privilégié, le marché s’impose d’une manière invasive, en englobant et incluant des réalités jusqu’alors exclues ou en marge. L’hétérogénéité des nombreuses politiques mises en œuvre sur un même territoire et la pluralité des juridictions...

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