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Reviewed by:
  • Faut-il penser autrement l’histoire du monde? by Christian Grataloup
  • Gérard Chouquer
Christian Grataloup Faut-il penser autrement l’histoire du monde? Paris, Armand Colin, 2011, 212 p.

L’essai de Christian Grataloup est une réflexion épistémologique sur un sujet de géohistoire. [End Page 541] Constatant, comme chacun, que le récit de l’histoire du monde disponible est un récit de la mondialisation vue de l’Europe, l’auteur se demande quel autre récit offrirait des bases meilleures pour comprendre l’interdépendance généralisée des sociétés à laquelle nous sommes parvenus. Il commence par observer un besoin de géohistoire, la pluralité des trajectoires humaines sur terre, le caractère suspect des espaces-temps dont on dispose pour organiser la matière, la fin du roman national et la nécessité d’élaborer un nouveau récit. Ces constats établis, l’essai se poursuit par la recherche des paradigmes qui permettraient de mieux engager ce nouveau récit.

Reprenant la distinction entre international et mondialisé, et tenant compte de la difficulté à établir un récit identitaire au niveau mondial (puisqu’il n’y a pas d’« autre », par opposition auquel on pourrait forger une identité), C. Grataloup s’engage dans une réflexion sur la dynamique de l’échelle. Il approfondit la distinction de Fernand Braudel et d’Immanuel Wallerstein entre empire-monde et économiemonde, rebaptisant cette dernière « monde polycentrique ». Il l’applique à diverses situations mondiales historiques afin d’éprouver la pertinence du modèle, cherchant les combinaisons historiques entre l’une et l’autre forme. Cela lui permet de poser cette question fondamentale : « Pourquoi le polycentrisme a-t-il pu perdurer dans un coin de l’Eurasie et produire ainsi le lieu originel d’une mondialisation originale? » (p. 174).

C. Grataloup développe une réflexion sur la difficulté d’associer la connaissance et l’identité, le patrimoine mondial étant une espèce de test épistémologique de la validité des concepts employés. Il observe qu’il existe bien un noyau dur de l’histoire mondiale, à savoir la présence, depuis plus de deux mille ans, d’un niveau social pertinent, fondateur d’une histoire commune entre les plus gros noyaux de peuplement humain, la Chine, l’Inde et l’Euro-Méditerranée, triade à laquelle on peut adjoindre l’Indonésie et l’Iran. Le programme de cette histoire mondiale pourrait être de rechercher ce que la mise en avant de la différence entre les civilisations a jusqu’ici caché : des similitudes, des outils communs, des interrelations. Cela ruine la distinction initiale entre connaissance et identité, et dessine la forme de cette mémoire du monde : un processus global de métissage. En conclusion, C. Grataloup se demande qui écrira l’histoire du monde. La question soulevée est essentielle : va-t-on vers un simple renversement du récit, c’est-à-dire une histoire vue cette fois d’un autre lieu que l’Europe, et qui ferait des sociétés occidentales le « Moyen Âge » des sociétés aujourd’hui gagnantes comme la Chine, ou bien verra-t-on émerger une véritable histoire mondiale?

L’un des intérêts de l’essai, et même sa justification, est d’envisager les questions épistémologiques que ce genre de défi ne manque pas de poser. Précisant son ancrage théorique, C. Grataloup développe d’abord l’analyse, classique, de la contradiction existant entre une posture moderne, idéologique et globalisante, et la posture postmoderne, déconstructrice, locale, qui favorise les approches dites « micro ». Il explique que le danger serait d’aller vers un relativisme généralisé qui mettrait en péril l’ensemble du projet scientifique. C’est ce qui le conduit à envisager un dépassement, et à dire que son essai peut être qualifié de « néomoderne » ou de « post-post », faisant ainsi allusion à cette épistémologie autrement moderne, dite « réflexive », formalisée par des chercheurs comme Ulrich Beck, Bruno Latour ou Dominique Boullier. Elle est celle qui, tout en conservant l’horizon relativiste qui nous garantit contre le retour des catholicités...

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