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Reviewed by:
  • Sociology and Empire: The Imperial Entanglements of a Discipline dir. by George Steinmetz
  • Frederick Cooper
George Steinmetz (dir.) Sociology and Empire: The Imperial Entanglements of a Discipline Durham, Duke University Press, 2013, 610 p.

Dans les années 1970, de nombreux ouvrages ont dénoncé les relations de compromission de plusieurs disciplines académiques – dont l’anthropologie, la géographie et la littérature – avec le colonialisme1. Le ton de Sociology and Empire est différent : il s’agit moins d’un regard rétrospectif faisant office de mea culpa que d’une enquête dans le domaine de l’histoire et de la sociologie des sciences. Les ouvrages précédents ayant atteint leur objectif, il n’est sans doute plus nécessaire de polémiquer sur les liens entre savoir académique et colonialisme. Pendant les deux décennies qui suivirent la fin des empires coloniaux, ce domaine de recherche était sorti du champ de vision de la plupart des intellectuels européens. Depuis, de nombreux ouvrages ont montré qu’il ne s’agissait pas d’entités géographiques périphériques – des éléments anecdotiques et autonomes du point de vue de l’histoire du progrès européen – mais que ces espaces représentaient une part intégrante et essentielle de la vie politique et intellectuelle aux xixe et xxe siècles.

Comme le montre George Steinmetz dans une introduction qui propose une synthèse complète des principaux courants de la pensée sociologique, l’empire était l’une des principales préoccupations des pères fondateurs de la discipline et de ses figures éminentes. Le pouvoir impérial était la réalité qu’il leur fallait appréhender. Pour une partie d’entre eux, la diversité des formes de pouvoir impérial au cours des siècles n’a cessé d’être un objet privilégié de comparaison, de généralisation et de théorisation. On rencontre dans ces pages les figures emblématiques des sciences sociales : Auguste Comte, Alexis de Tocqueville, Karl Marx, Ludwig Gumplowicz, Friedrich Ratzel, Max Weber, Gabriel Tarde, Otto Hintze, Robert Michels, Joseph Schumpeter, Franz Oppenheimer, Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, Carl Schmitt, Hannah Arendt, Georges Balandier, Pierre Bourdieu, entre autres, dont les uns furent des défenseurs du colonialisme, les autres ses contempteurs ou opposants. [End Page 539] Mais la construction de la conception sociologique de la politique exigeait de s’intéresser de près au passé, au présent et au futur des structures politiques impériales que ces intellectuels observaient à leur époque.

À ses débuts, le champ de la sociologie, dans ses variantes européennes, pouvait affirmer son utilité en revendiquant plus ou moins explicitement deux fonctions : classer de manière systématique les formes d’organisation sociale et expliquer les différentes manières dont les sociétés évoluent. Les perspectives évolutionnistes étaient très influentes à la fin du xixe siècle, mais elles pouvaient soit mener à la vision d’une classification statique – justifiant la domination durable de certaines sociétés sur d’autres–, soit mettre l’accent sur la notion de changement. Elles attribuaient dans ce cas aux peuples les plus avancés la mission de permettre des évolutions à même de conduire à une convergence des sociétés dans le monde autour des formes « supérieures ». Des tensions ont souvent existé entre l’ambition dominatrice et la mission civilisatrice, ouvrant un large espace à la justification, aussi bien qu’à la critique, de telles ou telles formes de pouvoir impérial, et potentiellement de l’idée même d’empire.

L’une des qualités de ce recueil est de faire ressortir des désaccords et des approches divergentes plutôt qu’une relation unique de la discipline avec le colonialisme. Les contributeurs présentent, pour une bonne part et dans une perspective historique, une analyse sociologique de la sociologie dans son rapport à l’empire au cours d’une période tumultueuse. Tout au long de ce siècle et demi, la subordination d’une grande partie de la planète à un petit nombre de puissances colonisatrices a atteint son apogée; de...

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