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  • Doing Emotions History ed. by Susan J. Matt et Peter N. Stearns
  • Frédérique Langue
Susan J. Matt et Peter N. Stearns (éd.) Doing Emotions History Urbana, University of Illinois Press, 2014, 217 p.

Visant à appréhender les émotions sur un mode social et politique, cet ouvrage issu d’une réflexion collective s’intéresse en tout premier lieu à leurs usages spécifiques et à la manière dont elles sont reçues dans divers contextes nationaux. Il ne s’agit pas d’analyser des comportements individuels et des identités mais de mettre en valeur des savoir-faire, afin de cerner un objet dont la caractéristique première est d’être insaisissable. Les spécialistes réunis ici se proposent d’étudier les émotions en amont, confrontant expériences, pratiques et représentations pour en dégager des constantes ou des oppositions notables. Si l’historiographie anglophone a produit de nombreux travaux dans ce champ disciplinaire, il reste que les références de la plupart des articles renvoient à des classiques du domaine européen : depuis Johan Huizinga à Roger Chartier, en passant par Norbert Elias, Lucien Febvre, l’École des Annales, Marc Bloch, Fernand Braudel et Philippe Ariès. Après ce retour aux origines du genre et plus précisément aux pères fondateurs de l’histoire culturelle, « mentalités » comprises, les éditeurs insistent sur le fait que les émotions ont une histoire. Le propos de l’ouvrage est, par conséquent, d’ouvrir une discussion sur les perspectives offertes dans la longue durée, depuis l’histoire de l’Antiquité jusqu’à des considérations sur des périodes plus récentes.

Le bilan historiographique proposé en introduction est à cet égard des plus éclairants. La lecture de ces « pionniers » aurait ouvert la voie à la diffusion aux États-Unis d’une « nouvelle histoire sociale », s’intéressant en priorité aux hommes et aux femmes et non plus exclusivement à des débats politiques perçus comme abstraits. L’histoire de la classe ouvrière, de la race et du genre, puis celle des échanges, des pratiques et de la vie quotidienne, sous-tendent une histoire de la famille ou du corps jusqu’aux années 1980, moment d’émergence des émotions comme champ disciplinaire. « Codes émotionnels », expressions et normes sociales en viennent à focaliser l’intérêt des historiens anglophones pour cette « vie subjective », telle que l’ont définie les éditeurs, ardents défenseurs d’une emotionology diversifiée qui va de la colère à la tristesse ou à la jalousie. Dans cette perspective, les modes d’expression suggérés par le biais des émotions révèlent, presque au sens photographique du terme, des attitudes face au politique ou aux valeurs sociétales et économiques du temps.

L’enjeu consiste également à identifier les tensions à l’œuvre et les inflexions survenant dans les formulations émotionnelles en fonction des classes sociales observées, ainsi que leur réception et leur échelle de diffusion, toujours plus globalisée, voire leur manipulation en fonction d’intérêts économiques et politiques, mais aussi en fonction des interactions entre les groupes sociaux en présence. La culture évangélique des protestants américains telle qu’elle s’affirme tout au long du XXe siècle est ainsi présentée comme un modèle du genre, que renforcerait le ressentiment émanant de la communauté afroaméricaine. La question des structures récurrentes ou des changements survenus dans la société inspire la définition de « standards émotionnels » et des comportements qui leur sont liés, donnant lieu à des travaux présentés comme novateurs à l’endroit des révolutions française ou américaine. Tel serait le cas des « récits » historiques visant à questionner des histoires « conventionnelles », si l’on se reporte au bilan historiographique effectué dans ce livre : une douzaine d’ouvrages et des centaines d’articles, qui ne couvrent cependant pas encore tous les lieux et toutes les époques.

À la différence des études européennes privilégiant des considérations politiques et une contextualisation sociale, les questions clés de ce volume relèvent d’un ordre à la fois conceptuel et méthodologique : comment...

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