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  • Le fil et les traces. Vrai faux fictif by Carlo Ginzburg
  • Albrecht Burkardt
Carlo Ginzburg Le fil et les traces. Vrai faux fictif trad. par M. Rueff, Lagrasse, Verdier, [2006] 2010, 537 p.

Depuis Le sabbat des sorcières ([1989] 1992), Carlo Ginzburg n’a plus publié de monographies mais s’est employé essentiellement à [End Page 511] de brèves études pointues, sortes d’essais historiques abordant, avec une érudition remarquable, les sujets en apparence les plus divers. Il est vrai que son premier recueil d’articles, Mythes, emblèmes, traces, restait assez proche des domaines de recherche dans lesquels il s’était fait une réputation. Cependant, dans les recueils qui ont suivi, C. Ginzburg n’a pas hésité à parcourir les terrains les plus vastes touchant à l’histoire culturelle en Occident, depuis l’ancienne Grèce et les traditions bibliques jusqu’aux classiques du XXe siècle. Aussi l’auteur s’est-il mué en une sorte de virtuose de l’érudition, d’autant que celle-ci se veut interdisciplinaire. C. Ginzburg noue, en tant qu’historien, le dialogue avec tout un ensemble d’autres disciplines des sciences humaines : des philologies classiques et des études bibliques aux lettres modernes et à l’histoire de l’art.

Si certains de ses articles ont été regroupés selon un dénominateur thématique spécifique1, la plupart de ses essais se veulent, d’une façon ou d’une autre, une contribution aux débats historiographiques et, plus encore, aux présupposés de la méthode historique. Depuis les débuts de son activité d’essayiste, en effet, C. Ginzburg s’est posé comme le défenseur acharné d’une histoire qui se veut connaissance vraie du passé, sachant distinguer le vrai du faux, le réel de l’imaginaire. Bien entendu, il ne nie pas les difficultés que pose ce parti pris qui ne doit pas se confondre, comme il le répète à volonté, avec un « positivisme naïf » (p. 23). Aussi les différents recueils peuvent-ils se lire comme autant de tentatives d’explorer la condition historienne dans sa complexité, « sur le point de vue en histoire » (À distance) ou sur les rapports entre rhétorique et preuve dans le domaine de l’historiographie (Rapports de force). Le fil et les traces s’insère dans cette série d’interrogations et peut être considéré comme une sorte d’arrière-garde des recueils précédents.

Les questionnements de l’auteur sont nés de son opposition aux tendances de la recherche – particulièrement nettes, selon lui, dans l’espace anglo-américain et « personnifiées » par l’œuvre de Hayden White – à réduire le discours historiographique à un art rhétorique auquel échapperait toute valeur de véracité. Cet engagement est d’autant plus résolu que C. Ginzburg se sent doublement concerné par les points de vue qu’il combat – en tant qu’historien, mais aussi, vis-à-vis de son identité personnelle, en tant que « juif né et élevé en pays catholique2 ». Selon lui, les positions condamnées vont de pair, en effet, avec un relativisme culturel aux implications fort ambiguës : les mêmes prémisses qui semblent promouvoir une tolérance sans bornes sont aussi celles dont « s’inspire le principe selon lequel la justice n’est rien d’autre que le droit du plus fort3 ». Les articles contenus dans Le fil et les traces adoptent le même point de vue, avec en apogée le grand essai « Unus testis. L’extermination des juifs et le principe de réalité », qui condense les oppositions évoquées tout en faisant apparaître nombre de références intellectuelles qui ont marqué l’auteur.

Les seize essais du volume, caractérisés par le même « universalisme » impressionnant qui mène le lecteur de Polybe, voire d’Homère, jusqu’au XXe siècle, sont peut-être d’une plus grande hétérogénéité que ceux qui ont été réunis dans les recueils précédents. Sans doute le rapport entre réalité et fiction littéraire constitue-t-il un centre...

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