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Reviewed by:
  • Les formes de l’illégitimité intellectuelle. Les femmes dans les sciences sociales françaises, 1890-1940 by Hélène Charron
  • Charlotte Foucher Zarmanian
Hélène Charron Les formes de l’illégitimité intellectuelle. Les femmes dans les sciences sociales françaises, 1890-1940 Paris, Cnrs Éditions, 2013, 455 p.

Dans cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat en sociologie, Hélène Charron analyse la contribution des femmes au développement des sciences sociales en France entre 1890 et 1940, une période déterminante pour l’émergence d’un champ disciplinaire qui progressivement s’institutionnalise et se formalise. Celui-ci est considéré dans un périmètre assez large qui va de la sociologie à l’ethnologie en passant par l’anthropologie et qui inclut également la politique, le droit ou encore la littérature.

Cet ouvrage prolonge les volumes collectifs dédiés aux intellectuelles et aux contributions des femmes aux savoirs, qui se sont multipliés depuis les années 19901. Il rejoint également [End Page 483] ceux qui portent plus spécifiquement sur les capacités et la légitimité des femmes à exercer des activités professionnelles prestigieuses2, ou sur leurs apports scientifiques à la construction historique et épistémologique de leurs propres disciplines.

Les travaux de Londa Schiebinger, Nicole Hulin, Sylvie Steinberg et Jean-Claude Arnould, Isabelle Ernot, Nicole Pellegrin, ou encore, spécifiquement pour les sciences sociales, de Nicole Mosconi, Jacqueline Carroy, Nicole Edelman et Annick Ohayon, sont, de ce point de vue, particulièrement éclairants, même si H. Charron fait l’économie, en introduction, de contextualiser sa propre démarche dans cette histoire plus globale, auscultant les rapports de sexe au sein de ces milieux sociaux à dominante masculine.

Nonobstant cet écueil, le travail qu’elle propose est tout à fait remarquable. Partant du constat simple mais éloquent du paradoxe entre le nombre massif d’étudiantes de premier cycle en sciences sociales et la persistance d’un plafond de verre dans la profession (peu de femmes professeures; une spécialisation des enseignantes et des chercheuses dans des domaines connotés au féminin), l’auteure étudie les modalités d’insertion, les logiques d’inclusion et d’exclusion des femmes dans ces espaces académiques des sciences sociales au passage du XIXe au XXe siècle. S’appuyant sur une bibliographie solide et dense, fondée sur la consultation de fonds d’archives peu connus, le dépouillement précis de revues spécialisées et l’exhumation d’ouvrages oubliés, H. Charron s’emploie à pointer avec discernement les paradoxes et les ambivalences définissant les modes d’accès des femmes aux savoirs sociaux et à déjouer les pièges du discours militant et univoque. Elle prend, par exemple, le soin d’analyser aussi bien les réceptions féminines que masculines des textes ou de démontrer la marge des définitions possibles au sein des féminismes (féminisme chrétien, révolutionnaire, républicain…).

C’est dans cette perspective que l’outil genre – qui aurait pu malgré tout bénéficier de plus larges approfondissements en mobilisant les concepts d’agency ou d’intersectionnalité (rapports entre sexe et classe sociale) – est utilisé avec pertinence. Il permet à l’auteure de revenir sur des parcours exemplaires ayant déjà fait l’objet d’études (Madeleine Pelletier, Clémence Royer, Germaine Tillion) comme de sortir de l’ombre un certain nombre de figures méconnues (vicomtesse d’Adhémar, Lydie Martial, Kaethe Schirmacher, Marie Dugard, Eliska Vincent, Marguerite Souley-Darqué et son cours de « féminologie »). Ce discours de réhabilitation, redevable à une histoire des femmes assez traditionnelle, côtoie une relecture plus vaste et complexe du champ disciplinaire des sciences sociales où les pratiques individuelles s’articulent aux conditions structurelles. C’est avant tout à ces multiples formes d’illégitimité intellectuelle que H. Charron s’intéresse : le cantonnement des femmes à des positions subalternes, leur exclusion des universités et des formations diplômantes, la marginalisation de leurs travaux dans des domaines spécifiques, la nonreconnaissance de leurs études, etc. Pour ce faire, l’auteure établit une typologie des figures...

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