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Reviewed by:
  • In the Museum of Man: Race, Anthropology, and Empire in France, 1850-1950 by Alice L. Conklin
  • Emmanuelle Sibeud
Alice L. Conklin In the Museum of Man: Race, Anthropology, and Empire in France, 1850-1950 Ithaca, Cornell University Press, 2013, XII- 374 p.

Alors que la réouverture du musée de l’Homme se fait attendre, Alice Conklin éclaire dans son ouvrage un moment central de l’histoire de cet établissement : sa transformation en muséelaboratoire au début des années 1930. Elle explique comment et pourquoi la première génération des diplômés de l’Institut d’ethnologie, créé à la Sorbonne en 1925, a profondément changé le regard porté sur les sociétés colonisées, frayant la voie à l’analyse critique de la situation coloniale formulée par Georges Balandier en 1951. Elle inscrit en outre cette révolution ethnologique, inspirée par les travaux et par les enseignements de Marcel Mauss et portée en pratique par ses étudiants, dans une perspective séculaire. Elle apporte ainsi une contribution élégante et nuancée à l’histoire des usages scientifiques et idéologiques de la notion de race. Son ouvrage est tout à la fois une synthèse pénétrante de cent ans de débats savants et politiques autour de la notion de race et de ses usages en France, de la fondation de la Société d’anthropologie de Paris en 1859 à la récusation de la validité même de la notion de race voulue par l’Unesco au début des années 1950, et une réévaluation très convaincante de l’influence de M. Mauss en partant de la relation dynamique qu’il sût construire avec ses étudiants.

La bibliographie sur les usages scientifiques et idéologiques de la notion de race au XIXe et au XXe siècle est immense. La parution récente d’un Dictionnaire historique et critique du racisme et de nombreux essais interrogeant « la condition noire » comme « minorité française », ou « la couleur des Blancs », souligne l’actualité et même l’acuité de la question des liens entre les élaborations savantes de la notion de race et leurs mobilisations idéologiques et politiques1. D’emblée, A. Conklin invite à distinguer les recherches qui partent de la notion de race, mais qui se plient aux procédures de validation scientifique en vigueur et relèvent de ce qui aspirait à devenir une « science des races », et les usages militants de certains [End Page 476] résultats de ces recherches pour réclamer la disqualification sociale et politique de tel ou tel groupe de populations, proches ou lointaines, au nom d’un racisme prétendument scientifique. Cette distinction n’est pas nouvelle. Avec le refus d’oublier ou d’omettre purement et simplement les sciences réputées fausses a posteriori (et qui l’étaient parfois factuellement), elle est à l’origine de la réflexion des historiens des sciences sur les politiques de l’anthropologie, en France et ailleurs2. Cette démarche critique a cependant été mise à mal ces dernières années par des travaux qui font l’hypothèse d’un « paradigme racial » toutpuissant3.

A. Conklin offre une belle leçon de méthodologie en substituant à cette lecture simplificatrice une analyse en termes de champ qui lui permet d’insister sur la coexistence tendue d’écoles de pensée et d’institutions aux pratiques et aux intérêts différents, sinon explicitement adverses. Elle souligne la forte polarisation qui se met en place en France à partir de l’affaire Dreyfus. D’un côté, le pôle universitaire obtient en 1925 la création de l’Institut d’ethnologie de la Sorbonne et voudrait imposer une « ethnologie au sens large », venant couronner l’ensemble des sciences de l’homme, y compris l’anthropologie physique. De l’autre côté, le pôle raciste qui est retranché à l’École d’anthropologie retrouve une certaine visibilité internationale après la Première Guerre mondiale. Il faut donc croiser les itinéraires des figures dominantes de ces deux pôles pour déchiffrer l’évolution...

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