Eléments narratifs dans mes compositions abstraites

Leonurdo,Vol. 3, pp. 59-61. Pergamon Press 1970. Printed in Great Britain ELEMENTS NARRATIFS DANS MES COMPOSITIONS ABSTRAITES Simona Ertan* C‘est A l’lge de treize ans que, sortant d’une ambiance de musiciens (du c8tt maternel), j’ai quittt le piano et la composition pour me plonger dtfinitivement dans le monde des arts plastiques. Ceci survint A Bucarest, ma ville natale. * Artiste demeurant 58 rue Charles Lafitte,92-Neuilly sur Seine, France.(Resu le 2 mars 1969.) En 1940,je m’installai avec ma famille h Buenos Aires, oh j’ai vtcu pendant vingt ans. J’ai oscillt de longues anntes entre I’Expressionnisme et le Fauvisme. En 1950, au cours d’un voyage aux Etats-Unis, j’eus un des plus grands chocs de ma vie: ma rencontre avec le ‘Guernica’ de Picasso. En 1952, en prenant contact avec ‘l’avant-garde’ europtenne d’aprts-guerre, j’ai eu la rkvtlation de Fig. 1. ‘Fin a Talloires’, peinture 2 l’huile, 117 x 90 cm, 1966. (Photo: A. Dumage, Park.) 59 60 Simona Ertan ~ ~~~~ ~~ Fig. 2. ‘Saint Paul de Vence’,peinture a I’huile, I’art abstrait, et a mon propre etonnement, malgre ma nature profondement lyrique, j’optai pour le mouvement de constructivisme. Par la suite, ‘I’action painting’ ne m’atteignit que trts peu, et depuis lors, malgre toutes les Cvolutions que j’ai subies et continue ii subir en route, je reste dans un monde formel, auquel j’ai du ma1 a m’arracher. Je suis assez tclectique pour aborder parallelement plusieurs genres, tels que tapisseries a I’aiguille,creation de formes en ceramique, vitraux, Plexiglas, etc. Je m’arrCterai ici seulement sur mes toiles, lesquelles ne depassent pas, pour le moment, la grandeur de Figure 80 (146 x 114 cm). Le monde de I’Ctre humain est complexe. On ne sait pas tres bien comment les choses viennent, quoi certains changements ou transformations sont dk.. De toute faqon, on n’est pas seul au monde, il y a toute une epoque qui, inconsciemment ou consciemment, agit sur nous. Depuis 1963-1964, je m’amuse h introduire dans mes compositions des elkments exterieurs, parfois avec des ressemblances gkometriques, parfois simplement appartenant h la vie de tous les jours. Dans la plupart des cas, ces elements sont en relief, et doivent me permettre de composer un tableau, une oeuvre. Qu’elle devienne par la suite mural ou autre, Ih n’est pas le probleme. Jusqu’au debut 1967, mes toiles restaient assez etrangeres h ces experiences, exceptes certains assemblages ou collages. Une de mes dernieres toiles utilisant seulement la peinture a I’huile fut, je crois, ‘Fin a Talloires’ peinte pendant I’hiver 1966. Celle-ci marque probablement une Cpoque (cf. pastel et tissu-tapisserie, 90 x 1 17 crn, 1967. Fig. I). C’est un tableau abstrait, peint d’une maniere traditionnelle en tant qu’emploi des materiaux : huile, terebenthine, etc. C’est une composition formelle plutBt que geometrique, d’ailleurs le souvenir des vacances est la comme toujours, dans la couleur ardoise (qui a la matiere d’une tapisserie ou d’un tissu), I’outremer des petits plans en ogive, le blanc crayeux (souvenir des maisonnettes), toute une ambiance visible et invisible, une lumitre et une atmosphere qui m’inspirent et dans laquelle je me baigne tout au long de I’annee. Je travaille en general sur mes vacances pendant toute I’annCe. Ce qui ne m’empCche pas de faire a c6te des choses tout a fait inattendues, dam lesquelles la vie de tous les jours n’intervient pas du tout. Cette toile ‘Fin Talloires’ est une derniere Ctape de la composition gkomktrisante. Je commenqai a chercher autre chose, insatisfaite de ce monde, craignant un certain academisme, ou simplement par ennui de m’enfermer dans un mCme monde de formes. Vers 1967, I’envie me prit de raconter des histoires, en unissant en quelque sorte des souvenirs presque figuratifs dans un tableau abstrait. La Fig. 2, ‘Saint Paul de Vence’, est un temoignage ou, dans le cadre aigu et rigoureux de I’architecture de cette ville du midi, j’introduis, ii part les petites croix noires a droite, symbole du cimetiere...