In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Habiter le défaut des langues. L’analyste, l’analyse, l’écrivain: Wilfred R. Bion by Simon Harel
  • Hans Jürgen-Greif
Simon Harel, Habiter le défaut des langues. L’analyste, l’analyse, l’écrivain: Wilfred R. Bion, Montréal, XYZ éditeur, coll. Théorie & littérature, 2012, 276 p., 29$

Il me semble inutile de revenir, ne fût-ce que brièvement, sur la carrière et les nombreux travaux de Simon Harel. Mon propos est ailleurs : tenter de présenter son essai sur – essentiellement – deux œuvres du psychanalyste britannique Wilfred Ruprecht Bion (1897–1979) qui s’était taillé une importante réputation dans le domaine de la dynamique de groupe avant d’entreprendre des études sur la psychose. Ailleurs dans l’ouvrage qui nous occupe, des surprises attendent le lecteur, comme celle d’approcher, voire de confronter Bion et Antonin Artaud, par exemple, n’eussent été [End Page 454] les profondes connaissances de Harel sur ce dernier depuis bien des années. Mais j’anticipe.

Quand on parle en psychanalyse de « traduction », on se réfère à ce qui, dans la langue, ne peut être dit ; les analystes, peu ou prou, font appel à ce défaut des langues pour mieux indiquer le caractère artificiel et conventionnel de ce qui relève de la « socialité communicative ». Simon Harel, lui-même analyste (même s’il ne suit plus de patients, il le reste à vie), s’intéresse à « ce qui fait défaut » dans et avec les langues, surtout la maternelle.

Freudien, Harel s’appuie sur Melanie Klein quand cela est nécessaire, tout comme Bion d’ailleurs, qui avait suivi une cure avec Klein pendant huit ans (1945-1953). Lacan laisse l’auteur plutôt tiède. Constatant que Bion s’appuie sur la dimension paternelle en parlant de la création, Harel avoue : « Je crois que c’est pour cette raison que Lacan ne m’a jamais inspiré ». Bref, bien des analystes d’ici et d’ailleurs se sentent en terrain connu auprès des psychanalystes invoqués dans cet essai. À ma connaissance, personne dans le domaine de la psychanalyse ne fermera ces pages, résultat de réflexions, de conférences, de rêves (le plus souvent des cauchemars), sans éprouver un sentiment de regret, celui d’avoir tout juste entrevu la pensée à la fois structurée, fluide et souple d’un chercheur connu pour sa rigueur intellectuelle.

Si nous habitons le défaut des langues – un clin d’œil d’ailleurs à Mallarmé qui avait désiré une nouvelle langue unificatrice –, c’est parce que nous avons encore et toujours le mythe de Babel en tête. Et voilà qu’entre en scène Bion qui y voit l’une des plus fortes contestations de l’ordre divin, celle de supprimer le langage adamique, commun à tous. Car Dieu s’est dit forcé d’intervenir auprès de Ses créatures qui avaient entrepris la construction de la tour de Babel, censée Lui prouver de quoi ils sont capables. Il les condamne à parler en une multitude d’idiomes, ce qui les rend incapables de se comprendre. Ainsi, Dieu fait naître une pléthore de nouvelles langues maternelles qui, nous le savons bien, se trouvent à l’origine de bon nombre de traumas dont l’analyste cernera la problématique. Voici la question qui se pose : comment l’analyste réussitil son propre passage à l’écriture de fiction (en supposant que celle-ci existe et ne soit pas issue de l’inconscient de l’écrivain) ? Bion, comme Freud d’ailleurs, est d’avis que, dans la cure, la parole n’a pour ainsi dire aucune efficacité communicationnelle : le travail de l’écrivain et celui de l’analyste se rejoignent par leur solitude narcissique. D’après André Green (Narcissisme de vie, narcissisme de mort, 1983), « l’objet narcissiquement investi de la création sert d’objet de projection – encore que son créateur, tout en affirmant avec vigueur sa paternité, refuse avec autant d’énergie que ce produit soit le reflet de sa vie ».

L’œuvre littéraire de Bion, point focal de l’essai, est hybride ; elle est souvent cit...

pdf

Share