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  • Identités nationales, postcoloniales ou contemporaines en Afrique: Réflexion en hommage aux cinquante ans de l’Union africaine by Roger Mondoué, Yves-Abel Nganguem Feze
Mondoué, Roger, et Yves-Abel Nganguem Feze, coord. Identités nationales, postcoloniales ou contemporaines en Afrique: Réflexion en hommage aux cinquante ans de l’Union africaine. Paris: L’Harmattan, 2013. isbn 9782343018850. 256p.

Ce recueil d’articles au titre ambitieux se présente comme un carrefour d’idées où l’on cherche à mettre en dialogue des disciplines traditionnelles avec de nouveaux courants de pensée. Les éditeurs, Roger Mondoué et Yves-Abel Nganguem Feze, deux professeurs distingués (le premier de philosophie et le deuxième de littérature) à l’Université de Dschang au Cameroun, souhaitent que l’Afrique ne soit plus narrée par les autres, et donc essaient “d’ouvrir le débat” (13), débat dans lequel les Africains auront l’opportunité de reconcevoir l’Afrique dans le monde postcolonial. Cet ouvrage collectif prend pour point de départ l’idée importante de mettre en dialogue des écrivains de disciplines et de nations diverses. On aurait apprécié des interventions éditoriales plus étendues que l’introduction et la conclusion qui sont trop brèves pour réunir une collection d’articles si divers. Néanmoins, le lecteur bien familier du monde francophone trouvera dans ce volume un ensemble de textes riches et révélateurs qui le poussent vers de nouvelles conclusions. Nous remarquons que la première partie du livre, avec six essais consacrés aux débats philosophiques, est la plus développée (et la plus difficile à aborder pour le non-spécialiste). La deuxième partie qui touche la politique est la moins développée, ne comportant que trois articles dont deux se concentrent sur le Cameroun et un sur le Darfour.

La troisième partie du livre aborde la littérature et la culture populaire en six articles divers qui traitent de la culture africaine et de la diaspora. Cette partie souffre du fait que certaines contributions semblent un peu tronquées.

Le livre s’ouvre sur un riche débat philosophique entre d’un côté les marxistes qui revendiquent la capacité d’action collective qui a provoqué et a soutenu les luttes de libération et de l’autre côté les philosophes postmodernes qui théorisent un nouveau sujet fragmenté, hybride, migratoire, et individualiste. Charles Romain Mbele lance une attaque soutenue contre la philosophie postcoloniale dominante qui exige un point de vue pessimiste sur la possibilité de l’action. Mbele, lui, insiste sur les valeurs partagées comme nécessaires afin que les Africains puissent agir collectivement. [End Page 195] Christian Paintoux élabore un dialogue philosophique dans lequel il retourne à la philosophie chrétienne avant de parcourir l’histoire philosophique occidentale. Pour lui, une philosophie africaine doit reposer sur l’art de vivre la pluralité dans le singulier. Tout en reconnaissant la diversité de l’Afrique, il explique que l’unification de l’Afrique est non seulement possible, mais aussi une condition préalable pour que l’Afrique se développe économiquement. Léon-Marie Nkolo Ndjodo, à la suite de Paintoux, évoque Marcien Towa, dans l’essai le plus abordable de cette partie de l’anthologie, afin de dénoncer l’ethnophilosophie comme une philosophie essentialiste qui repose sur les notions d’identité, d’authenticité, et d’originalité (et qui a été inspirée par la négritude). Au contraire, Ndjodo et Towa argumentent pour un mouvement révolutionnaire dont la liberté est le but suprême. Ils refusent la philosophie postmoderne/postcoloniale en disant que cette pensée demande un modèle antirationnel et anti-scientifique. Selon Ndjodo, l’action révolutionnaire exige une fondation matérialiste/marxiste qui mène à l’action et à l’unité. Serge Bernard Emmanuel Aliana explore les thèmes introduits par les autres écrivains mais se focalise sur l’idée que la philosophie postmoderne est nécessaire pour l’auto-justification du capitalisme. Il montre très clairement comment le monde néolibéral, capitaliste et globaliste a besoin de la présence de sujets anonymes, mouvants, sans identité fixe et qui se voient avant tout comme consommateurs et membres des tribus transnationales. Aliana suggère que dans ce contexte, l’exode devient une forme de révolte et que la fragmentation soutient la circulation du capital dans le monde. Joseph Teguezem et Lyonel Faustin Ngounou écrivent en faveur d’un panafricanisme basé sur des nations états et expliquent que l’unification de l’Afrique “ne saurait se faire dans la fermeture systématique de l’Afrique à d’autres continents” (106). Roger Mondoué, dans son analyse pointue de Je suis noir et je n’aime pas le manioc de Gaston Kelman, rejette fortement la déconstruction postmoderne en faveur d’une position résolument scientifique et raisonnée qui permettra à l’Afrique de “s’intégrer dans la société moderne” (116). Bien que cette partie du livre se présente sous la rubrique de la philosophie, l’analyse que les philosophes y poursuivent démontre un engagement politique soutenu.

La deuxième partie du livre, qui aborde explicitement les questions politiques, se focalise sur deux pays: le Cameroun et le Soudan. On aurait voulu lire plus d’études comparables afin d’élargir les connaissances sur les réalités politiques africaines. Peut-être la lacune la plus saillante est-elle l’absence d’analyse de la corruption politique et des dictateurs à long terme tels que Paul Biya au Cameroun. Les deux premiers articles contiennent un éclairage subtil sur la situation politique au Cameroun mais évitent toute allusion à Biya. Joseph Keutcheu explique comment une identité nationale n’est pas en contradiction avec un marché d’identités ethniques et culturelles. Il insiste sur l’importance du sentiment anticolonial dans la fondation de l’identité nationale au Cameroun. De plus, il démontre comment le drapeau, l’hymne national, et le mouvement syndicaliste ont tous contribué à l’unification [End Page 196] du pays. Keutcheu argumente contre la position régnante, selon laquelle l’“hétérogénéité ethnique des sociétés africaines en général et camerounaises en particulier est souvent perçue comme incompatible avec la démocratie, la stabilité politique et le développement” (122). Jean-Bédel Norodom Kiari prolonge cet argument en expliquant qu’une identité camerounaise existait bien avant la colonisation. Il précise que cette identité reposait sur le rôle d’intermédiaires ou de négociants que les Camerounais ont historiquement joué entre les marchands étrangers (européens) et les tribus de l’intérieur.

L’article de Boris Bertolt éclaire les conflits au Darfour en insistant sur l’importance des crises écologiques (variabilité des précipitations et sécheresses) qui ont provoqué des conflits entre les différents groupes ethniques. Il propose que des groupes qui ont vécu en harmonie pendant longtemps se trouvent en conflit par manque d’accès aux ressources naturelles. Les trois articles de cette partie représentent une tentative pour remettre en question l’image d’une Afrique divisée par des identités ethniques et tribales, mais le fait qu’on ne traite que de deux pays limite l’impact de cette partie du livre. On aurait voulu voir plus d’articles pour vraiment éclairer la complexité de la situation politique en Afrique. Surtout, l’ouvrage ne comporte pas de discussion soutenue du problème de la corruption politique ni de ses effets sur la question de l’identité.

Le recueil se termine sur une exploration de la littérature et de la culture populaire de l’Afrique et de la diaspora. Ici, le volume se veut peut-être trop ambitieux en touchant à un si grand nombre de sujets en si peu de pages. Pourtant, on y trouve certaines réflexions importantes, surtout celles de J. Ariane Ngabeu qui examine les romans de Ken Bugul et Malika Mokeddem. L’une des deux contributrices au volume, Ngabeu reconnaît que la quête d’identité des femmes reste parallèle à la quête d’identité raciale, ethnique, ou nationale. L’article d’Hervé Tchumkam se focalise sur la “littérature de banlieue.” Ce véritable sous-genre se définit au mieux par le collectif d’écrivains qui s’appelait “Qui fait la France?” Tchumkam propose la possibilité d’un groupe d’écrivains de la banlieue sans identité singulière.

L’article écrit par Guilioh Merlain Vokeng Ngnintedem et David Mdouopda se consacre à une étude de l’afropolar, le roman policier postcolonial. Les auteurs suggèrent que c’est “un lieu privilégié de l’affirmation d’une identité postcoloniale déterritorialisée et fragmentée pour l’exploration de l’ipséité africaine” (209). Il est évident que la fragmentation rejetée par les philosophes dans la première partie de ce livre reste tout de même une idée de base pour les chercheurs en littérature. J-J Rousseau Tandia Mouafou décrit un phénomène passionnant au Cameroun: deux “lettres”/chansons composées par un rappeur (Valsero) et destinées au Président du Cameroun et une réplique écrite et performée par un humoriste (Michekan l’Africain). Le rappeur s’y montre comme le porte-parole de la jeunesse du pays (à la fois respectueux et prêt à dialoguer avec le Président et en même temps critique de son inattention envers le peuple et son travail). La proposition de l’humoriste est moins [End Page 197] discutée mais l’échange reste un moment culturel important, surtout parce que c’est le seul exemple d’une critique directe contre la dictature. L’article de Lise Mba Ekani est affaibli par des erreurs superficielles (elle fait parfois référence à l’écrivain Ousmane Sembène sous le nom de Sembène Ousmane), tandis que son argument traite d’écrivains de substance et d’importance critique. Elle examine la manière dont la violence des colonisateurs déshumanise non seulement les Africains mais les colonisateurs eux-mêmes. Enfin, on trouve l’essai de l’éditeur Yves-Abel Feze qui explore le problème des identités multiples à l’intérieur d’un seul pays, le Cameroun. En comparant des ouvrages d’écrivains de la diaspora, comme Jean-Roger Essomba et Simon Njami qui suggèrent la fluidité des identités, avec des romans endogènes d’écrivains comme Were Were Liking et Gabriel Kuitche Fonkou qui insistent sur les identités ethniques, Feze remarque: “Je me contenterai de relever que penser la nation en contexte postcolonial relève d’un paradoxe: être obligé de dire une entité qui, historiquement et culturellement, ne s’exprime que sur le mode de l’identité diasporique et de la tribu” (253).

Cet ouvrage révèle l’intérêt que peut susciter un dialogue résolument inter-disciplinaire, notamment la possibilité d’élargir les connaissances sur une question complexe comme celle de l’identité africaine. En entrant au cœur des débats existant entre ceux qui ont adopté un point de vue postmoderne et postcolonial et ceux qui continuent à insister sur la pertinence du marxisme et de l’action collective, les éditeurs du volume démontrent une volonté de présenter l’Afrique dans toute sa diversité. Le lecteur est enrichi par cet effort de ne pas simplifier un sujet si digne d’étude et si difficile à aborder. [End Page 198]

Stephanie Schechner
Widener University

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