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  • Une Interview avec Louis-Philippe Dalembert, écrivain
  • Robert H. McCormick Jr.

Le 14 mai, 2015

Berne, Suisse

RMC:

Je vous remercie d’avoir accepté de faire une seconde interview en Europe. La première, il y a quelques années, à Arbois, en France, et puis maintenant, à Berne en Suisse où vous êtes professeur invité à l’Université de Berne dans le cadre de la chaire Dürrenmatt pendant ce semestre. Je souhaiterais que vous nous parliez de trois de vos romans L’Autre face de la mer, Noires blessures, et Ballade d’un amour inachevé afin que l’on puisse en dégager une vision plus globale de vos préoccupations romanesques.

L’Autre face de la mer (AF)

RMC:

Publié en 1998, L’Autre face de la mer semble divisé en trois parties, bien que j’aie tendance à en apercevoir quatre. Commençons avec la première, « Le Récit de Grannie ». J’aime beaucoup le portrait que vous tracez de Noubòt, insulaire, fascinée par la mer. On y trouve des traces de votre grand-mère, mais vous dites ailleurs que l’attrait de la mer était, à vrai dire, le vôtre en tant qu’enfant vivant au Bel-Air d’où l’on pouvait la voir. Selon vous, quelle est la fonction de Grannie dans ce roman? Elle a connu l’invasion du pays par les Américains, vécu le massacre des Haïtiens en République dominicaine en 1937. Elle connaît l’histoire d’Haïti, que Jonas ignore, même celle de leur quartier.

LPD:

Vous avez raison pour la structure du roman. Il y a trois parties visibles: le récit de Grannie d’abord et celui de Jonas sont racontés à la première personne et « La Ville » au milieu racontée à la troisième personne par un narrateur omniscient.

À côté des trois, il y a effectivement une quatrième partie moins visible. Il s’agit du voyage des « personnages » coincés dans le ventre d’un bateau parti d’un endroit qui n’est pas mentionné—on peut croire que c’est [End Page 128] l’Afrique—pour une destination inconnue. Je dis « destination inconnue » parce qu’ils ignorent où on les amène. Cette partie est constituée d’une série de pauses poétiques. Ils représentent des moments de respiration dans le récit général. Mis bout à bout, ils racontent une autre histoire, un autre voyage. Lequel est censé s’achever au moment où on arrive à la fin du roman. Mais à ce moment-là, on voit certains de ces « personnages » se jeter à l’eau pour tenter de revenir, à la nage, au point de départ.

RMC:

Le dialogue final compte-il, selon vous, comme une partie?

LPD:

Plus qu’une partie, il faut le lire comme un épilogue. Jonas doit prendre une décision importante pour la suite de sa vie. Et ce dialogue, qui se déroule quelque part en lui, l’aidera à se décider.

RMC:

Et le personnage de Grannie?

LPD:

Pour moi, le personnage de Grannie c’est la détentrice de la mémoire. C’est elle qui detient la mémoire de la ville, qui symbolise, à ce niveau-là, le pays. C’est elle aussi qui la transmet de façon orale à son petit-fils pour qu’il puisse continuer, d’une certaine façon, le combat.

RMC:

Quel est ce combat?

LPD:

Celui de rester, de faire en sorte que cette ville puisse retenir ses fils. Enfant, elle voyait toujours les bateaux entrer et sortir du port. C’était comme une invitation au voyage. D’où son envie de voyager, à son tour. Sauf que, au lieu de partir de l’autre côté de la mer, elle va partir de l’autre côté de la frontière. Si on replace l’histoire dans le contexte géographique de l’île, il s’agit de la République dominicaine. Et là, elle va vivre le massacre de 1937, les fameuses vêpres dominicaines, l’assassinat de plus de 20,000 travailleurs haïtiens par les sbires du dictateur dominicain, Trujillo. Le traumatisme subi est...

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