In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Madame Verdurin dans Un Amour de Swann: L’humour et L’inquiétante étrangeté pour transcender les limites du moi social
  • Béatrice Flamenbaum

Cet essai explore le lien entre humour et inquiétante étrangeté dans Un Amour de Swann, la deuxième partie Du Côté de Chez Swann (1913) de Marcel Proust, à travers le personnage de Madame Verdurin, qui entre ridicule, méchanceté et folie, incarne une figure de l’inquiétante étrangeté du jeu social. L’humour de Proust démasque l’hypocrisie et met à jour une lutte des “castes,” menée par des êtres étranges. Sophie Duval dans son “Petit Pan d’Humour Proustien” rapporte l’une des définitions de l’humour, à la fin du 19ème siècle, en tant que: “faculté de présenter la réalité de manière à en montrer les aspects plaisants, insolites ou parfois absurdes, avec une attitude empreinte de détachement” (20). Proust s’affirme comme peintre des “humeurs” humaines, tandis que son personnage Swann prend peu à peu conscience du monde social qui l’entoure, dans toute sa complexité.

Madame Verdurin, parmi les nouveaux-riches sans titres de noblesse et épris d’ascension sociale, fait montre de cruauté, de vulgarité et de vanité. Nous nous concentrerons d’abord sur l’inquiétante étrangeté de ce personnage au grotesque menaçant, à la tête de son cercle de fidèles et aux commandes de son couple. Despote vénéré par ses disciples, elle ressemble à un oiseau de proie qui observe sa cour d’un œil aiguisé, à la gestuelle symptomatique de son étrangeté. Puis nous nous pencherons sur le nom “Verdurin” et les métaphores autour du fruit qu’affectionne “l’oiseau” Verdurin. Proust parvient à sublimer la bassesse et la vulgarité du personnage à travers l’humour.

L’inquiétante étrangeté: humain et animal, cercle d’amis ou secte

Selon Freud, le retour du même et l’effet de répétition marquent l’existence humaine de leur étrangeté. Dans “L’Inquiétante Étrangeté” (1919), il [End Page 51] cite l’exemple de se perdre en montagne dans le brouillard et de se retrouver trois fois au même endroit, avec un sentiment d’incrédulité et d’anxiété (240). Le cercle des Verdurin, sclérosé et fermé comme une secte, semble condamné à cette sensation de l’éternel retour du même: les mêmes membres, les mêmes règles, les mêmes blagues, enfin les mêmes musiques ou activités, comme si les Verdurin tentaient de donner à leur vie sociale un statut d’éternité et de transcendance; ce qui débouche sur une inquiétante étrangeté, une familiarité mêlée d’angoisse. Oiseau menaçant, Madame Verdurin se régale des joutes verbales, des vainqueurs et des vaincus, et son portrait évoque un sentiment de déjà-vu, de manifestation de l’aspect guerrier dans les relations humaines, de la potentialité meurtrière du langage.

L’Unheimlich transforme l’intime familier en Autre angoissant, ou correspond au surgissement de ce qui restait caché. “L’individu, le couple, la famille, l’institution et l’État sont chacun – est-ce un hasard ? –, dépositaires du connu et du secret, c’est-à-dire du familier qui devient secret, de la coexistence du familier et du secret” (Dufour de Conti 64). Chez Proust ce brouillage entre familier et secret correspond à la différence entre Moi créateur et Moi social. Philippe Dufour de Conti souligne que les espaces censés protéger, aider et former l’être humain peuvent se révéler les plus dangereux, et devenir des champs de bataille. Le familier protecteur comporte le risque de l’étrangeté et enferme l’angoisse, tapie dans l’ombre du secret et du mensonge. Les Verdurin incarnent cette combinaison du familier et de l’étrange, de par leur système-même: à la tête d’un clan qui doit se plier aux règles de leur église, sans que des liens familiaux, professionnels ou associatifs les unissent, ils régissent un microcosme asphyxiant, aussi rassurant qu’angoissant, dont les membres sont menacés d’exclusion et de destitution au moindre faux pas, exclusion qui pour eux...

pdf

Share