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  • Glossaire j’y serre mes gloses by Michel Leiris
  • Emmanuel Delille
Michel Leiris, Glossaire j’y serre mes gloses. Illustré par André Masson. Suivi de Bagatelles végétales. Illustré par Joan Miró. Édition de Louis Yvert. (Poésie.) Paris: Gallimard, 2014. 192 pp., ill.

Pour la première fois les gloses que Michel Leiris a publiées entre 1925 et 1980 sont réunies en un recueil qui reproduit aussi les œuvres originales d’André Masson (seize lithographies) et Joan Miró (six gravures). Il s’agit d’une édition critique, accompagnée d’un dossier réalisé par Louis Yvert, inspecteur général honoraire des bibliothèques, déjà [End Page 410] éditeur des correspondances échangées avec Georges Bataille et Jean Paulhan. Les illustrations de ce livre célèbrent les poèmes de jeunesse de Leiris, inspirés par les peintres de la rue Blomet (Paris quinzième) et dispersés dans des revues éphémères (La Révolution surréaliste, Messages, etc.) ou les collections privées de livres d’artistes. Dans les années 1920 Robert Desnos, Marcel Duchamp et Max Jacob sont déjà auteurs d’exercices collectifs basés sur des jeux de mots. Leiris procède en empruntant la forme d’un lexique, c’est-à-dire des mots-entrées classés dans l’ordre de l’alphabet, tout en détournant l’objectif du dictionnaire, puisqu’il ne propose que des définitions subjectives obtenues au moyen des techniques de jeux de langage: par exemple, ‘glossolalie (la glotte y sonne un hallali)’. Partant, l’ordre des mots ne suit plus les règles grammaticales, Leiris démantibule le langage pour imbriquer de nouvelles relations sémantiques ou pour y introduire des jeux sonores, qui font fi des règles syntaxiques, le plus souvent au profit de néologismes et de jeux avec la typographie. Leiris apparaît alors comme un auteur charnière entre les poètes Alphonse Allais et Guillaume Apollinaire — maîtres de la contrepèterie et du calligramme avant la Grande Guerre — et les nouvelles générations affranchies des formes classiques. Ces procédés sont à la fois ludiques et intellectuels pour Leiris, dans la mesure où les définitions font souvent appel au calembour et s’inspirent aussi de traditions interprétatives ésotériques, comme la mantique (divination). Avec Bagatelles végétales, Leiris laisse davantage libre cours à son imagination en s’affranchissant de la forme du dictionnaire, pour élaborer une sorte de traité constitué de proverbes, regroupés de manière thématique comme dans une encyclopédie. L’association est le principal moteur des procédés employés par Leiris, qui s’inspire notamment de savants, comme Sigmund Freud. Ce point n’est peutêtre pas assez développé dans l’Introduction de Louis Yvert, surtout soucieux d’établir une chronologie fine des textes (rédaction et publication). Rappelons, en effet, que la psychanalyse tend à expliquer les rêves, les lapsus et les symptômes névrotiques à partir des mêmes mécanismes: association, condensation, déplacement, etc. À noter que ce jeu avec le savoir a peutêtre davantage séduit les intellectuels que des poètes: un des grands intérêts du dossier établi par Louis Yvert est de citer de larges extraits de Gérard Genette, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss et Jean-Paul Sartre. Cependant, je pense qu’on peut établir d’autres liens avec des recherches savantes au début du vingtième siècle, puisque c’est aussi pendant cette période que l’anagramme fait l’objet des essais linguistiques de Ferdinand de Saussure, qui les analyse comme des jeux du système de la langue et les identifie comme les plus anciennes techniques de la poésie et du corpus ésotérique.

Emmanuel Delille
Centre Marc Bloch, Berlin
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