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  • Les Dates et les œuvres: symbolisme et poésie scientifique by René Ghil
  • Nicolas Wanlin
René Ghil, Les Dates et les œuvres: symbolisme et poésie scientifique. Texte établi, présenté et annoté par Jean-Pierre Bobillot. (Archives critiques.) Grenoble: ELLUG, 2012. 378 pp.

Jean-Pierre Bobillot a réédité une grande partie de la poésie de Ghil et ses principaux textes théoriques. Avec Les Dates et les œuvres, on dispose maintenant de l’essentiel de l’œuvre. Ce texte est un recueil de souvenirs de la vie littéraire de 1883 à 1892 puis de 1919 à 1922, avec des chapitres portant particulièrement sur Verlaine et Mallarmé. Plus généralement, Ghil raconte l’histoire vue par un de ses acteurs et cela apporte la saveur des anecdotes vécues mais surtout la partialité et la subjectivité inhérentes à un auteur qui se considérait comme le centre de la vie littéraire. Ainsi, l’histoire littéraire que Ghil construit ne ressemble guère à celle qu’on enseigne. Selon lui, le vrai clivage fondateur fut la lutte entre le symbolisme et l’école de la poésie scientifique. Bien entendu, cette dernière était représentée principalement par son groupe avant-gardiste baptisé successivement école ‘symbolique et instrumentiste’, ‘philosophique-instrumentiste’ puis ‘évolutive-instrumentiste’. Il combattait la poésie personnelle, jugée égotiste, et l’idéalisme inhérent aux séquelles du romantisme. C’est en puisant aux sources du naturalisme, du bouddhisme, des théories de l’évolution, de l’acoustique de Helmholtz ou encore des philosophies matérialiste et moniste que Ghil entendait fonder une nouvelle poésie. Et il s’emploie, au long de son essai, à montrer que cette poésie polarisa toute discussion et toute création pendant plus de trente ans. Bobillot lui sauve la mise en montrant que, d’une certaine manière, les expérimentations poétiques dans le domaine de la poésie ‘sonore’ sont peutêtre l’horizon de la poésie ghilienne. On peut sourire de la naïveté, de l’autosatisfaction voire de la mégalomanie de Ghil et du démenti que semble lui avoir apporté l’histoire littéraire. Mais cela nous rappelle que l’histoire n’est pas la réalisation d’une fatalité mais plutôt la négociation permanente entre des possibles. Ainsi, cette histoire subjective mérite quelque attention car elle répond finalement à d’autres scénarios possibles, résultant de choix, révisables et, de fait, parfois révisés. Aussi est-il peut-être temps de sortir René Ghil des oubliettes. Une telle réhabilitation est d’ailleurs initiée par la copieuse présentation que fournit Bobillot qui fait plus que présenter simplement le contexte de publication et donner en notes de très précises élucidations [End Page 406] historiques, biographiques et culturelles. C’est un véritable essai présentant et défendant la pensée, et non seulement la poétique, de Ghil. Car si sa poétique paraît aujourd’hui naïvement kitsch, la philosophie qui sous-tend ses poèmes est remarquable. Elle rejette aussi bien l’art pour l’art que la poésie militante, en concevant la poésie comme une participation à l’évolution générale, c’est-à-dire une forme de progrès. Inspiré par les théories de l’évolution, Ghil conçoit non seulement le destin de l’humanité mais surtout une morale moderne, proche d’un Jean-Marie Guyau, par exemple, par delà l’égoïsme et l’altruisme. La morale naturaliste invitant à dépasser cette antinomie au nom des lois naturelles qui fondent l’ordre naturel et l’ordre social dans sa continuité, Ghil est résolument confiant en le ‘devenir conscient’ de la matière, ce qu’il appelle le Mieux, qui est le destin de l’humanité.

Nicolas Wanlin
Université d’Artois
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