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  • Transformation Des Sociétés Et Naissance Des Révolutions :La Mode De Tocqueville Dans La Chine Actuelle *
  • Li Hongtu (bio)

I

Lorsqu’en 1859 Tocqueville terminait son dernier ouvrage, L’Ancien Régime et la Révolution, il n’aurait jamais imaginé que 150 ans après, ce livre aurait un fort écho dans la Chine lointaine. Depuis 2012 en effet, il apparaît en Chine un phénomène qu’on pourrait appeler « la mode de Tocqueville ». Dans cet espace-temps précis, à partir de quelle réalité sociale la Chine a-t-elle choisi Tocqueville ? Comment les Chinois lisent-ils L’Ancien Régime et la Révolution ? Et, du point de vue du transfert et de la réception, quelle lecture fait-on de la pensée de Tocqueville dans un autre espace culturel que la France, et de quelle manière cette lecture pourrait-elle avoir un impact sur la réalité chinoise ? Nous savons que Tocqueville a non seulement observé la Révolution de 1789, mais aussi réfléchi sur celle de 1848. Ainsi, toute sa vie durant, il s’intéresse à la question suivante : pourquoi ces révolutions naissent-elles dans une France en phase de modernisation ? Le contexte chinois actuel, ainsi qu’une analyse de la naissance d’une révolution sous l’angle de la transformation d’une société, peuvent sans doute nous aider à mieux comprendre Tocqueville en même temps que « la mode de Tocqueville », telle qu’elle se produit dans la Chine d’aujourd’hui. [End Page 215]

Voici ce qui s’est passé en 2012 : Wang Qishan, l’un des hauts-dirigeants du parti communiste chinois, a recommandé dans un cadre très restreint la lecture de L’Ancien Régime et la Révolution. En 2013, le même Wang Qishan, fraîchement élu comme l’un des membres du Comité permanent du Bureau politique du 18e Comité central, a de nouveau recommandé, avec beaucoup de sérieux, ce même ouvrage dans une réunion du Comité central pour l’inspection disciplinaire du Parti. Très vite, l’ouvrage, qui n’avait été lu auparavant que dans un cercle académique limité, est devenu un livre à la mode.

Une observation du point de vue de la recherche montre que la traduction chinoise de l’ouvrage en question a été publiée en 1992 par la maison d’éditions Shangwu. La vente a été mauvaise : le livre n’intéressait que les chercheurs en histoire de France et en histoire de la pensée. Entre 1992 et 2012 – l’année où Wang Qishan a fait sa recommandation –, les publications concernant les études sur Tocqueville ne comprennent que deux petits ouvrages et moins de 20 articles. De la démocratie en Amérique et les Souvenirs – deux ouvrages dont la version chinoise a vu le jour dans les années 1980 – ont connu la même indifférence ; leur sort ne s’est même pas amélioré après l’apparition de la mode de Tocqueville.

Cette mode, tout à fait surprenante, est en effet en rapport avec un contexte auquel la parole d’un dirigeant peut donner un poids considérable. Les éditions de L’Ancien Régime et la Révolution se multiplient jusqu’au nombre de 14, avec un chiffre de vente qui atteint plusieurs millions d’exemplaires – la maison d’édition Shangwu, la plus académique des éditions chinoises, compte pour elle seule plus de 200 000 exemplaires.

C’est donc grâce à la recommandation de Wang Qishan que le nom de Tocqueville est lié à la société chinoise actuelle. Comment Wang Qishan comprend-il ce livre ? Nous n’en savons rien car il n’a jamais rien révélé dans aucun espace public. Mais pour un chercheur, réfléchir à partir de cet étrange phénomène de mode sur le lien entre Tocqueville et la Chine actuelle offre déjà un éclairage inattendu sur le problème de la révolution chez Tocqueville.

Comprendre ce besoin que manifeste la Chine de lire Tocqueville nous aiderait à mieux saisir la pensée de ce dernier ; inversement, une étude approfondie...

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