- Europe de l’Ouest
Œuvres de création
Boyer, Frédéric. Dans ma prairie. Paris: pol, 2014. isbn 9782818020548. 80 p.
Ce texte propose une méditation sur l’espace et sur l’étendue, sur le désir d’évasion et sur le désir de renouvellement, tout ceci dans une forme poétique lyrique qui ressemble par endroits à une mélopée incantatoire. Qu’est-ce que la prairie pour Frédéric Boyer? C’est d’abord “comme une sœur disparue” (10) qui hante l’écrivain, une sœur lointaine comme l’âme et qui lui “sourit de là-bas” (10). C’est ensuite l’appel vertigineux du large. Deux vers très courts d’Arthur Rimbaud, “Ainsi la Prairie / à l’oubli livrée,” servent d’exergue et de fil conducteur au livre entier. Boyer emprunte à Rimbaud l’idée d’un chant sur le désir de départ et sur le désir de disparition. “La prairie m’apparaîtra après un deuil inouï” (10). Boyer reprend aussi l’idée d’un chant sur l’espace libre qui renvoie au champ imaginaire de l’écriture: “Et j’appelais ma prairie avant que soient les visions avant que soient les nuages avant que soit le chagrin humain” (12). Mais Rimbaud n’est évidemment pas la seule source d’inspiration pour Dans ma prairie. D’une part, l’auteur fait écho à la grande tradition nord-américaine de la prairie perdue—celle des mustangs et des buffalos, celle des cow-boys et des nations amérindiennes—c’est-à-dire non seulement aux romans de James Fenimore Cooper mais encore aux westerns de John Ford. D’autre part, Boyer se souvient comment, chez Homère, Ulysse aperçoit l’âme d’Achille dans la prairie de l’Asphodèle au pays des morts. Autrement dit, la prairie est espace d’aventure et de liberté et espace de danger et de mort. S’enfoncer seul dans la prairie, c’est certes “croire parmi les fleurs ressusciter d’entre les morts” (14), souligne Boyer, mais “est-ce que dans le mot prairie [disparaîtront aussi] les choses auxquelles je m’étais cru attaché pour toujours” (16)? Dans ma prairie marque la recherche d’un lyrisme contemporain avec des images fortes et des répétitions fréquentes:
Dans ma prairie j’entends d’innombrables petites voix douces m’exhorter à contempler ma prairie au-delà du spectacle poignant, transitoire et changeant des choses. À voir l’Être des herbes, l’Être des rocs, [End Page 182] l’Être des perles d’eau. L’Être du loup et celui des vaches, l’Être coyote, l’Être lapin et musaraigne. À voir l’Être du vent et du faucon blanc, l’Être des buissons, l’Être des ombres violettes.
(20...