In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Proust entre littérature et philosophie by Pierre Macherey, and: L’Éckctisme philosophique de Marcel Proust by Luc Fraisse
  • Hugues Azérad
Proust entre littérature et philosophie. By Pierre Macherey. Paris: Éditions Amsterdam, 2013. 300 pp.
L’Éckctisme philosophique de Marcel Proust. By Luc Fraisse. (Lettres françaises.) Paris: Presses de l’université Paris—Sorbonne, 2013. 1333 pp.

Il faudrait parler de Proust comme le pianiste Alfred Brendel le fait à propos de Schubert. C’est bien ce qu’ont accompli Pierre Macherey philosophe travaillant sur l’idéologie, la théorie littéraire et l’utopie, et Luc Fraisse, spécialiste de Proust dont les récents travaux ont insufflé une impulsion nouvelle aux études des sources. Le critique philosophe est le moins disert sur le ‘philosophique’ dans la Recherche mais au contraire dégage une dynamique de pensée purement philosophique dans la chair même de l’écriture proustienne. Le critique littéraire par contre nous invite à une magistrale leçon de philosophie, à partir des sources jusqu’à présent mal comprises qui ont formé le jeune Proust dans sa classe de philosophie au lycée Condorcet (sous la houlette de Darlu, dont les cours ont pu être retrouvés par Fraisse) puis lors de sa licence de lettres et de philosophie à la Sorbonne où enseignaient les maîtres d’alors, Janet (philosophie morale), Séailles (dont le traité d’esthétique viendra nourrir les réflexions proustiennes sur le génie artistique), et Brochard (nom qui rappelle superficiellement Brichot). Toute l’argumentation de Macherey repose sur cette prémisse: ‘En Proust, littérature et philosophie, sans se confondre, communiquent, sont en relation d’échange et se stimulent réciproquement’ (p. 9). Dans le sillage de Deleuze et de Descombes, Macherey sonde les interstices où la pensée de Proust (la fameuse troisième ‘voix’ de la Recherche) vient s’adjoindre aux théories immédiates et souvent erronées du héros et aux lois trop clairement édictées et hypostasiées par le narrateur, et dont les conséquences autant éthiques qu’esthétiques restent à déchiffrer, puisqu’elles sortent de l’emprise d’un moi particulier et exclusif pour s’aboucher à un ‘nous’ désiré et ouvert. La vérité proustienne passe par les béances que l’écriture ouvre à flanc de certitudes, la rédemption demeurant en souffrance. D’emblée, Macherey s’appuie sur Bakhtine, pour qui ‘la forme artistique ne peut se réaliser par rapport au concept pur, au jugement pur [. . .]. Tout le contenu doit être corrélé au monde où s’accomplit l’action humaine et profondément lié à la conscience agissante [. . .] la plus grande erreur consisterait à se représenter le contenu comme un tout théorique connaissable, comme une pensée, comme une idée’ (p. 9). En effet, la source à laquelle Macherey se réfère pour élucider les idées proustiennes, c’est la conscience agissante qui anime chaque phrase de la Recherche, conscience souvent cachée par la clameur des péroraisons du narrateur/héros, et qui se trouve indissociable de l’œuvre qua création en acte, sous les auspices d’un auteur qui ne tombe jamais le masque. C’est un peu comme si la Recherche tissait une série de motifs de plus en plus originaux à partir d’un canevas commun, de lieux communs. C’est à l’instance réceptrice (la conscience qui ‘lit’) d’en tirer des lois qui lui soient personnelles tout en étant valables pour autrui: la [End Page 255] pensée en acte qui trace ses sillons invisibles, souvent à contre-courant des idées affirmées au grand jour (cela vaut aussi bien pour la théorie esthétique du Temps retrouvé que pour les lois de l’amour ou l’âge des croyances) ne laisse rien paraître de ce qui la nourrit. Aucune idée, qu’elle soit de Platon, Aristote, Plotin, Leibniz, Spinoza, Pascal, Hegel ou Nietzsche, n’est gardée intacte et sans passer par un travail de transformation qui relève de la littérature, vie pleinement vécue, mais aussi pensée pleinement assumée. Ce...

pdf

Share