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  • Les sciences sociales face au combat
  • Jean Joana (bio)

Depuis quelques années, le combat, entendu comme l’affrontement violent et localisé entre deux forces militaires, est devenu un point de rencontre inattendu de l’histoire, de la sociologie et de la science politique. On a en effet vu se multiplier des ouvrages consacrés à ce thème, qui partagent un même intérêt pour la guerre « au ras du sol », perçue à travers l’expérience immédiate de ceux qui y sont confrontés1. Ce faisant, ils s’attachent à en analyser des dimensions très concrètes, avec parfois une attention particulière pour des aspects tactiques ou techniques jusque-là volontiers laissés aux seuls militaires2.

Cette appropriation du combat par les sciences sociales ne va pas de soi. D’abord parce que l’entropie et le désordre3 qui le caractérisent se prêtent mal à l’établissement de régularités ou à la production de généralisations qui constituent la raison d’être de ces dernières. Mais surtout parce qu’on est en droit de se demander ce que les sciences sociales peuvent apprendre du combat. L’intérêt de la guerre pour la compréhension des sociétés a certes déjà abondamment été souligné. Elle a été mise en évidence par des disciplines aussi différentes que l’anthropologie4, l’histoire5 ou la science politique6. L’importance que l’on est prêt à accorder à la guerre pour rendre compte de la structuration des sociétés n’impose pas toutefois de privilégier une attention pour ce qui se passe sur le champ de bataille. L’attrait d’une partie des historiens pour les violences de guerre, à partir des années [End Page 83] 1980, a d’ailleurs été moqué en soulignant que ces auteurs appartenaient à la première génération de ce qui n’en avait pas eu une expérience directe7. La question des apports de ces études sur le combat pour les sciences sociales mérite donc d’être posée.

Une première manière de répondre à cette question consiste à revenir sur le regard que les sciences sociales ont jusque-là porté sur le combat. Malgré leur intérêt commun pour ce qui se passe sur les champs de bataille, ces dernières adoptent en effet des points de vue très différents sur le sujet. Le présent article souligne que trois approches se sont jusqu’à présent disputées l’analyse du combat. La première est celle de la sociologie militaire, qui cherche dans le combat à approfondir la connaissance des organisations militaires. La seconde est celle des historiens militaires, qui voit dans le combat l’expression du rapport des sociétés à la guerre. La troisième, plus récente, analyse le combat comme une forme particulière de violence de guerre. Ces trois approches, on le verra, permettent d’approfondir la compréhension des phénomènes guerriers. On peut néanmoins se demander si elles suffisent à rendre compte de ce qu’est la guerre.

La sociologie militaire face au combat

Le premier courant d’analyse à s’être intéressé au combat, est celui qui s’est formé autour de la sociologie militaire. Pour les auteurs qui y ont contribué, en effet, il s’est d’abord agi de comprendre comment les organisations militaires se comportaient lorsqu’elles étaient confrontées à un conflit armé.

Le développement de ces approches commence aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où les sociologues investissent la question de la motivation des combattants8. Il est d’abord alimenté par les travaux d’origine américaine, produits avec le soutien des forces armées des Etats-Unis. C’est le cas de l’enquête que mènent E. Shils et M. Janowitz sur la cohésion des troupes de la Wehrmacht9, de celle de S. Stouffer et ses collaborateurs sur le soldat américain10 ou de S. L. A Marshall sur les performances au combat de ce dernier11. Le point commun à ces trois recherches est...

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