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  • Les secrets des faux sorciers. Police, magie et escroquerie à Paris au XVIIIe siècle by Ulrike Krampl
  • Pascal Bastien
Ulrike Krampl Les secrets des faux sorciers. Police, magie et escroquerie à Paris au XVIIIe siècle Paris, Éd. de l’Ehess, 2011, 302 p.

Ce livre passionnant, savant et rigoureux se saisit d’un objet apparemment anecdotique pour en faire une recherche d’histoire sociale complexe et particulièrement stimulante. Les archives de la Bastille conservées à la bibliothèque de l’Arsenal renferment les dossiers constitués par la police parisienne contre les suspects et prévenus de toutes sortes de scandales. Déjà sollicitées pour le désordre des familles (Arlette Farge et Michel Foucault), la presse interdite (Robert Darnton) ou le libertinage et la prostitution (Erica-Marie Benabou), entre autres objets, les archives sont ici un terrain d’enquête sur la magie et ses significations sociales durant la première moitié du XVIIIe siècle. La magie est envisagée sous différentes formes: recherche de trésors par l’invocation des esprits, production de potions, de talismans et autres secrets de protection, divination, alchimie et transmutation des métaux, communication avec les âmes du purgatoire.

Le monde découvert par Ulrike Krampl est celui de la lettre de cachet, toujours pensée et associée à la justice retenue du roi. Pourtant, bien qu’elle n’appartienne pas à la justice ordinaire du droit commun, la lettre de cachet reste l’aboutissement d’une procédure d’enquête policière dont nous saisissons ici parfaitement l’ampleur, la complexité et les nuances. Les dossiers analysés par l’auteure réunissent des plaintes et des interrogatoires, des papiers d’inspecteurs, des correspondances administratives avec le lieutenant général, ainsi qu’une littérature « savante » relevant autant de la norme policière et judiciaire d’Ancien Régime que des savoirs liés à la magie et au secret, du Petit Albert aux différents almanachs populaires. Après la décriminalisation de la sorcellerie par le parlement de Paris en 1682, que restait-il de la magie et de ses praticiens au siècle des Lumières?

La démonstration d’U. Krampl est claire et convaincante. Entre 1692 et 1783, 199 affaires (plus du double de prévenus, dont 40 % de femmes «seulement» – ce qui tranche avec l’archétype de la sorcière du temps des bûchers) [End Page 1077] sont analysées dans leur langage, confrontées les unes aux autres pour saisir le parcours méthodique et réfléchi de l’appareil policier. Car la police a un rôle, une fonction, une responsabilité pour l’État et l’ordre urbain : la magie menace l’un et l’autre. Entre 1700 et 1760 surtout, la police parisienne s’est ainsi attachée à débusquer et démasquer les pratiques magiques mises en œuvre par des individus reconnus pour leur « art », afin d’en dénoncer la fausseté et d’arrêter les coupables. Les archives analysées pendant cette période révèlent, en aval, un effort de la police sur le terrain et, en amont, un travail lexical d’envergure de leurs agents pour penser et fabriquer le faux sorcier, sorte de figure intermédiaire inscrite entre les sorciers de Robert Mandrou et les escrocs de Catherine Samet1. L’auteure analyse le dynamisme de cette transition qui conduit à l’invention légale d’un nouveau criminel. Après les sorciers, les « faux sorciers »; et après les « faux sorciers », les escrocs : l’étude se consacre à une catégorie intermédiaire, à un concept frontière pensé et fabriqué par la police.

Pas de magicien sans son client, comme un siècle plus tôt il n’y avait pas de sorcière sans sa victime. C’est la séduction, le mensonge et l’espérance du profit (et non la nuisance) qui caractérisent la magie telle qu’elle est racontée par la police au XVIIIe siècle. Elle n’est alors plus celle des marginaux et ne cherche pas à détruire, à empoisonner les bestiaux ou à se débarrasser...

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