In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • La boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au XVIIIe siècle by Nicolas Lyon-Caen
  • Dominique Julia
Nicolas Lyon-Caen La boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au XVIIIe siècle Paris, Albin Michel, 2010, 558 p.

Le titre énigmatique de ce livre renvoie à la légende tardive qui attribuait ce prénom à la dernière servante de Pierre Nicole, lequel, avant de mourir, lui aurait confié la gestion des fonds qu’il avait reçus. L’expression, employée par les commissaires de police au XVIIIe siècle, désigne les fonds des caisses de secours destinées à venir en aide aux «amis de la vérité» et tout particulièrement aux prêtres appelants de la bulle Unigenitus à un concile universel. Par un dépouillement exemplaire des archives, Nicolas Lyon-Caen s’était attaché, dans un premier travail, à reconstituer les réseaux de financement des quatre fonds principaux et la succession précise des gestionnaires, des emprunteurs et des prêteurs. Ces sommes transmises selon un principe d’indisponibilité des biens et d’insaisissabilité par les créanciers servirent à soutenir la publication des Nouvelles ecclésiastiques, l’entretien du séminaire janséniste de Rijnwijk aux Provinces-Unies, les petites écoles jansénistes du faubourg Saint-Antoine, et à venir en aide aux prêtres persécutés1.

Au-delà de cette première analyse, cet ouvrage renouvelle en profondeur l’étude du jansénisme. S’il est vrai, comme l’écrit Jean-Louis Quantin, que, même après la bulle Unigenitus, le jansénisme « a conservé son caractère fondamental : […] il est resté un ensemble flou, un faisceau de tendances, un front changeant, impossible à enfermer dans un dogme ou à réduire dans une formule2 », l’approche de l’auteur permet de sortir de cette aporie théologique. Prenant au sérieux les hypothèses proposées par Michel de Certeau sur la formalité des pratiques dans L’écriture de l’histoire, et décidant de comprendre la déviance religieuse sur le terrain des pratiques sociales, N. Lyon-Caen inscrit résolument sa démarche à l’inverse de celle de Catherine Maire qui reste profondément sceptique « sur le lit de Procuste d’une sociologie politique à base de prosopographie» et pour laquelle «les rôles comptent en l’occurrence bien plus que les acteurs »3. Il s’agit moins de traiter du jansénisme à partir d’un corpus textuel déterminé que d’analyser «les formes de l’investissement religieux des élites bourgeoises » (p. 17), en l’occurrence la bourgeoisie parisienne appartenant au patriciat des Six Corps de Paris, auquel est associé le monde des avocats, des notaires et des procureurs, au cours d’une période qui va des années 1720 aux années 1780. L’ouvrage cherche à comprendre les modalités selon lesquelles une identité sociale complexe comme celle des corps de l’Ancien Régime a pu s’approprier la cause des appelants. D’où une attention particulière aux « marques », cette « combinaison objective entre une ‘pratique’ et un ‘signe’, un point de croisement entre le langage de la société et l’énonciation d’une foi »4.

Partant des individus et des pratiques sociales, l’auteur retient comme jansénistes ceux qui appartiennent à leurs réseaux de sociabilité, en fonction d’indices matériels repérables : adhésion à l’appel au concile, dévotion rendue au diacre François de Pâris en raison de ses miracles, pèlerinages, dons, etc. Le renouvellement de la problématique, nourrie des questions venues de la sociologie (où la définition durkheimienne de la religion est en bonne place), s’accompagne d’une quête de sources jusque-là peu prospectées dans le cadre de l’historiographie du jansénisme : au premier chef le Minutier central des notaires parisiens (contrats de mariage, testaments, inventaires après décès), mais aussi les dossiers de police de la Bastille conservés à la bibliothèque de l’Arsenal et ceux du Châtelet de Paris, les écrits du for privé (lettres de direction de conscience, [End Page 1073] correspondances, journaux). L’auteur a ainsi pu constituer un...

pdf

Share