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Reviewed by:
  • La torpeur des ancêtres. Juifs et chrétiens dans la chapelle Sixtine by Giovanni Careri
  • Thomas Golsenne
Giovanni Careri La torpeur des ancêtres. Juifs et chrétiens dans la chapelle Sixtine Paris, Éd. de l’Ehess, 2013, 325 p.

En 1564, Giovanni Andrea Gilio fit paraître un dialogue sur les erreurs de Michel-Ange dans son Jugement dernier réalisé dans la chapelle Sixtine vingt ans plus tôt. Entre les deux dates, le concile de Trente a révolutionné le christianisme. Faut-il croire, comme Gilio le suggère, que Michel-Ange est un «païen» tellement épris d’art antique qu’il en a oublié les fondements de l’iconographie religieuse, les principes de la foi et les dogmes sacrés? En somme, un artiste maniériste seulement intéressé par des problèmes de forme?

Une bonne partie du livre de Giovanni Careri sur le Jugement dernier et d’autres fresques de la chapelle Sixtine consiste à défendre l’idée contraire, à savoir que Michel-Ange exprime dans ses peintures un sens très profond du christianisme, proche des mouvements réformateurs catholiques de la première moitié du XVIe siècle, qui fournit une véritable « théologie de l’histoire» (p. 152).

Cette théologie de l’histoire est illustrée par Michel-Ange de plusieurs manières. La première, qui trouve ses sources dans la figuration médiévale, est la typologie. Elle consiste en l’organisation d’un système d’analogies entre l’Ancien et le Nouveau Testament, les personnages et les actions du premier devenant les « figures », au sens théologique, du second. Ce système fonctionne à plein dans les Bibles moralisées, par exemple. La série des fresques peintes par Piero Perugino, Domenico Ghirlandaio, Sandro Botticelli et consorts dans les années 1480, en deux frises parallèles, l’une représentant la vie de Moïse, l’autre celle de Jésus, est donc analysée par la majorité des historiens de l’art comme une organisation [End Page 1036] typologique – Moïse étant une figure vétérotestamentaire bien connue de Jésus. Le but de cette analogie est de légitimer le pouvoir monarchique que la papauté se bâtissait à l’époque, en escamotant toute trace de violence idéologique et politique que la récupération de l’histoire sacrée juive par les chrétiens impliquait forcément. Une partie des fresques peintes par Michel-Ange entre 1508 et 1512 fonctionne encore suivant ce paradigme.

G. Careri consacre un long chapitre aux Ancêtres du Christ, qui sont peints dans les lunettes et les cintres de la voûte, au-dessus des fresques du Quattrocento. Beaucoup moins célèbres, ces images, qui sont censées représenter la généalogie de Jésus mentionnée au début de l’Évangile de saint Matthieu (dont les noms sont d’ailleurs marqués au centre des lunettes), sont mises en parallèle avec la série des premiers papes peints par Perugino et ses collègues. Ce parallèle permet d’établir une forme de continuité de l’Ancien au Nouveau Testament, mais surtout de marquer le progrès que constitue le passage de la Loi vers la Grâce.

Ainsi, à la parenté «tribale et ethnique» des Ancêtres succède la «parenté spirituelle» des papes, qui fournit un modèle supérieur (p. 156). En effet, l’Incarnation interrompt le lien du sang de la parenté généalogique. G. Careri rappelle ainsi que, comme saint Augustin l’avait remarqué, la généalogie des ancêtres du Christ énumérée par saint Matthieu se prolonge jusqu’à Joseph (et non jusqu’à Marie), dont il n’est pas le fils par le sang. D’une part, l’apparition de Jésus constitue une rupture avec la transmission héréditaire qui relie les enfants hébreux à leur père et, d’autre part, cela per-met malgré tout de faire du Christ un héritier (même indirect) du roi David. Si les noms manifestent la continuité des Ancêtres avec les Papes, les...

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