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Reviewed by:
  • Armies of Heaven: The First Crusade and the Quest for Apocalypse by Jay Rubenstein
  • Alexandre Romain-DesfossÉs
Jay Rubenstein Armies of Heaven: The First Crusade and the Quest for Apocalypse New York, Basic Books, 2011, XIV-402 p.

Le livre de Jay Rubenstein est un remarquable récit de la première croisade qui prend le risque de la narration historique et satisfaisait à de nombreux égards au double contrat à la fois scientifique et littéraire que celle-ci impose: l’écriture procède en portant la voix des témoins (directs ou indirects) tout en ne cessant pas d’exercer un regard critique (les notes sont renvoyées en fin d’ouvrage, et donnent à l’ensemble sa pertinence scientifique en élargissant sensiblement la bibliographie). J. Rubenstein est sans doute un excellent conteur; son récit est enlevé, son style riche et précis, sa parole se veut proche, souvent amusée. [End Page 1007]

Après un premier chapitre qui confère à la Jérusalem des chrétiens occidentaux de la fin du XIe siècle toute sa consistance à la fois très spirituelle et très concrète – perception éprouvée et renforcée d’après l’auteur dans les prodromes de la croisade que furent notamment la fièvre millénariste des pèlerins de 1064 et les tournées de prédication enflammées de Pierre l’Ermite en 1095/1096 –, le lecteur est plongé dans l’atmosphère exaltée voire «extatique» (p. 233) d’une expédition que J. Rubenstein entend rendre à sa dimension «apocalyptique ». De l’appel vibrant d’Urbain II au concile de Clermont jusqu’à Ascalon, la «sixième bataille» de l’Apocalypse selon le chroniqueur Raymond d’Aguilers, en passant par la prise sanglante de Jérusalem, ombilic du monde et de toute vie chrétienne, l’auteur passe en revue chacun des grands épisodes de la croisade au cours de vingt chapitres qui sont autant de paliers pour la conscience prophétique des croisés. Dans cette dramatique escalade, la prise d’Antioche et sa défense désespérée par un groupe exsangue de guerriers morts-vivants, galvanisés par la découverte de la Sainte-Lance, auraient agi comme un catalyseur surpuissant des grandes émotions millénaristes. Pour J. Rubenstein, les milites de ces « armées du ciel » étaient convaincus de se battre contre l’Antéchrist et de marcher dans le monde de la fin. Telle est la thèse que défend ce formidable récit d’aventure qui, si l’on en croit son auteur, viendrait combler un vide dans l’historiographie moderne des croisades, pourtant soucieuse d’idéologie depuis le livre fondateur de Carl Erdmann sur la guerre sainte : « L’histoire des faits militaires, dit J. Rubenstein, a souvent été écrite, et bien. Mais elle n’a pas été racontée d’une manière qui prenne en compte les grandes idées derrière la première croisade – les croyances qui en furent à l’origine, et qui contribuèrent à guider les armées vers leur objectif» (p. XII-XIII). Telle fut donc la force de cette « apocalypse », à la fois cause première et efficiente d’une entreprise hors du temps.

Ce parti pris inscrit de fait J. Rubenstein dans une double filiation: celle dite des « traditionalistes » qui font de Jérusalem la raison d’être et l’élément central de la définition de la croisade, par opposition aux « pluralistes » qui entendent élargir cette définition à d’autres expéditions sanctionnées par l’autorité pontificale (en Espagne, dans l’Europe du Nord ou contre les hérétiques); et celle dite des « populistes », attachés à dégager la puissance intérieure, collective et spontanée d’un mouvement de masse1. C’est notamment dans la lignée des historiens français des religions férus de psychologie historique comme Paul Alphandéry, Alphonse Dupront et Étienne Delaruelle que l’auteur déploie son intuition d’une espèce de «numineux» gouvernant les esprits et les émotions. Cela lui a valu d’être très sévèrement critiqué par Jonathan Riley-Smith et John...

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