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Reviewed by:
  • Lumières de Pointe-Noire by Alain Mabanckou
  • Gilbert Doho
Mabanckou, Alain. Lumières de Pointe-Noire. Paris: Éditions du Seuil, 2013. isbn 9782021003949. 282 p.

Ce récit de Mabanckou n’est pas un simple retour au pays natal, mais une véritable tentative de mythologisation de sa mère, Pauline Kengué. La phrase liminaire: “J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie” (11), annonce le jeu de la dénégation qui domine les deux premiers chapitres de sa fiction. Mabanckou veut nous faire croire. En peignant sa mère sous les traits d’une femme légendaire, plantée au ciel que chaque enfant congolais adule, donc en choisissant d’évoquer sa mère d’abord par “écrit” dans un conte étiologique, Mabanckou la mythologise. Mieux, en plantant l’icône, la photo de sa mère à la suite de son écrit, Mabanckou veut produire le même effet que le cinéma, l’espace de merveille. Mais il faut le dire, Mabanckou n’innove en rien parce qu’il suit [End Page 222] les pas d’un Camara Laye, “Femme des champs, des rivières, femme du grand fleuve” (L’Enfant noir 53) ou d’un Léopold Sédar Senghor (Chants d’Ombre 56) qui poétisèrent en leur temps l’image de la femme-mère.

Véritable “memory lane,” ce texte est à la fois narration, dialogue c’est-à-dire échange parfois très douloureux entre mère et fils, mais aussi presque toujours un regard caustique sur les systèmes de gestion du Congo indépendant, sur les survivances du Code de l’Indigénat dont l’impôt de capitation et autres patentes avaient “brisé tant de familles, avec des mères désemparées à qui on avait retiré le droit de vendre leurs arachides pour un petit retard dans le paiement” (23).

Si l’adulte Mabanckou avoue, à sa manière pince sans rire, reconnaître sa “mythomanie” pour ce qui est du traitement aussi bien de sa mère que des sœurs qu’il n’a jamais eues, il en va autrement du père, Roger, et des nombreux oncles et cousin(e)s. Une manière de rictus au coin des lèvres, Mabanckou clame “La Gloire de mon père” pour étaler les fanfaronnades de l’employé de Victory Palace, le cruel traitement que, par jalousie, Roger inflige au père de sa patronne, pour dire qu’en fin de compte, son père n’était qu’un minable passant sur cette terre au contraire de sa mère Pauline, déifiée. Car en fait, qu’a-t-on vraiment à donner à la postérité quand on est simple servant, béat admirateur d’un colonat en perte de vitesse dans un Congo nouvellement indépendant? Manière de “Khalife à la place du Khalife” (53), Roger est-il autre chose que le Nègre qui joue le Blanc sur le Nègre comme l’avait prédit Aimé Césaire dans La Tragédie du Roi Christophe (1963)? La cruauté de l’homme est telle que ses collègues en viennent à envier celle de l’oppresseur: “Les employés n’avaient plus qu’un seul vœu secret: que la patronne revienne le plus vite possible parce que, selon eux, les engueulades d’un Nègre étaient plus insupportables que celles d’un Blanc” (53).

Les rapports que Roger entretient avec ceux qui l’entourent semblent marqués par le sceau de la tension. Mabanckou évoque ses virées chez la vieille Lucienne pour dire le sort cruel de la femme sans enfant, sans mari dans ce Congo de la ville qui en fait est un Congo de village. N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que sont constituées la plupart de nos villes? L’histoire de la rue Louboulou, de son peuplement est celle des quartiers Bamiléké à Douala, Haoussa à Yaoundé. Y sont reproduites les coutumes de l’arrière-pays, les mêmes chaînes de solidarité ou de haine. La rixe entre les deux prétendants de Pauline aide à comprendre ce lien mythique plus solide qu...

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