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  • La Chinoise de Jean-Luc Godard et La Troisième génération de Rainer Werner FassbinderLe terrorisme est-il soluble dans Brecht?
  • Antoine Krieger

Au moment de la sortie de son film La Troisième génération en 1979, le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder déclarait, au sujet de la troisième génération des terroristes de la bande à Baader:

I am convinced they don’t know what they are doing, and what they are doing derives its meaning from nothing more than the activity itself, from the apparently exciting danger, from petty adventures within the system, which admittedly is administered ever more perfectly and therefore alarmingly. Action undertaken in danger, but without any sense of perspective, adventures experienced in a sort of intoxication for their own sake—these are the things that motivate “the third generation.”1

Il s’agit ici d’un constat amer et désabusé. Pour Fassbinder, l’activisme de la première génération de la bande à Baader s’est transformé en un aventurisme infantile dans lequel l’action n’a plus qu’elle-même pour raison d’être.2 Cette désillusion face à la dérive terroriste des mouvements contestataires allemands de la fin des années 1960 est également une conséquence de l’automne 1977 pendant lequel les membres fondateurs du groupe (Andréas Baader, Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin) ont été retrouvés morts dans leurs cellules de la prison de Stammhein.3

La sortie de La Troisième génération s’inscrit donc dans un moment de crise au sein de la gauche allemande et le film remplit une double fonction pour le cinéaste. D’une part, il clarifie ses positions sur le terrorisme: les personnages qu’il met en scène sont de véritables pantins facilement manipulables par un grand patron. D’autre part, il constitue une critique acerbe de la politique de répression du terrorisme mise en place par le pouvoir allemand, celle-ci ne pouvant que profiter aux grandes entreprises. [End Page 177]

Sorti plus de dix ans auparavant, La Chinoise de Jean-Luc Godard est considéré comme une prophétie sur les dérives terroristes du gauchisme européen auxquelles Fassbinder réfléchit rétrospectivement. Antoine de Baecque écrit à ce sujet: “Ce que filme Godard en 1967 ce n’est pas l’attente de 68 mais, déjà—et là avec une prescience incroyable—, la fin des illusions du gauchisme.”4 Véronique, l’héroïne de Godard, pense que le terrorisme conduira à une régénération de la culture et permettra à la population de prendre conscience de son aliénation. Elle finit par assassiner un dignitaire soviétique, ce qui préfigure la violence des “années de plomb” qu’évoque Fassbinder. À cette thématique commune viennent s’ajouter de troublantes similitudes narratives mais aussi esthétiques.5 On ne peut qu’être frappé par la quasi-identité de l’intrigue des deux films: un groupe de révolutionnaires, issus de la haute bourgeoisie, préparent des attentats terroristes dans un appartement dans une atmosphère de chahut infantile. Marquées par une autoréférentialité se traduisant par l’inclusion d’extraits d’autres productions cinématographiques et la mise en scène de “cinéastes” au travail, les deux œuvres incluent aussi des montages sonores aussi bien que visuels, reflétant une multiplicité de citations d’œuvres préexistantes (radio, musique, photos).6 Ces deux tendances manifestent l’influence des théories de Brecht sur le théâtre.7 Et particulièrement, à travers l’écriture de “fables,” la tendance à aliéner le spectateur à travers une rupture avec les conventions du théâtre traditionnel, telles que la linéarité de la narration et l’illusion dramatique. Roswitha Mueller définit la fable en ces termes:

The fable, which Brecht called the heart of the play, corresponds structurally to his view of social reality: it develops in contradictions. Its parts are first clearly separated from each other, then confronted in such a way that contradictions result, which themselves lead to another set of events. This not only provides the space...

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