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  • Les eunuques dans le bassin tchadien:Productions et usages
  • Adam Mahamat (bio)

Dans le bassin tchadien, le phénomène de l’esclavage a été plus visible dans les palais des rois. Alors qu’une partie des esclaves était destinée aux taches subalternes, dégradantes, se rapportant notamment à l’entretien de l’écurie, à la distraction de leurs maîtres; une autre catégorie était strictement destinée aux services de palais. Le statut d’eunuque est le résultat d’une double déchéance; la première se rapporte à la déchéance statutaire, liée soit aux modalités violentes, soit aux us et croyances internes en vigueur dans les sociétés. La deuxième, quant à elle, implique une atteinte à l’intégrité biologique de l’individu. La production d’eunuques n’était pas un fait nouveau dans cette région; il est question de voir les modalités de sa mise en œuvre dans cette région où l’esclavage a été une source potentielle de richesse et a soutenu pendant longtemps l’édifice socio-politique des Etat. L’analyse s’intéresse d’abord à la passerelle entre l’esclave et l’eunuque de façon générale, culmine sur les modes de production d’eunuques avant d’ouvrir sur le cas spécifique du bassin tchadien.

De l’arrachement à la déchéance biologique: une pratique ancienne et répandue

L’usage des eunuques était une pratique ancienne, bien connue dans les anciennes civilisations. De façon générale, ce sont des gens atypiques d’un point de vue physique et moral. Les producteurs d’eunuques portaient atteinte à l’intégrité physique des personnes à fleur de l’âge. Les motivations ont été diverses d’une époque à une autre, d’un espace à un autre. Les unes sont indexées aux punitions à infliger à des délinquants accusés d’adultère, de fornication. Dans ce cas, la justification est strictement pénale. Les autres motivations sont adossées au désir des potentats, des souverains, des aristocrates à avoir des femmes bien gardées. Au regard des difficultés d’obtention de cette autre [End Page 59] catégorie d’esclaves et de leur nombre réduit dans la masse des éléments de souche servile, leur possession était synonyme de prestige pour les maîtres. La condition d’eunuque pouvait être le point de départ d’une brillante carrière politique et militaire.

Le terme eunuque tire son origine de l’appellation grecque “eunoukhos, gardiens du lit.” Cette appellation était attribuée aux individus castrés, dépourvus de leurs organes génitaux.1 En аrabe, l’eunuque est dit “maslul” c’est۔à۔dire dépouillé, châtré.2 Les eunuques étaient affectés à la garde des sérails, parties des palais où étaient enfermées les épouses royales. Le passage à la condition d’eunuque était une opération suicidaire à cause du choc physique qui pesait sur les victimes. A Rome, sous l’empereur Justinien (482-565), un groupe de jeunes gens subirent l’épreuve de castration. Sur les 90 qui étaient proposés à la castration, 3 seulement avaient la vie sauve. Les 87 autres succombèrent à leurs blessures.3 L’archaïsme qui caractérisait les opérations de castration et le manque de prédispositions chirurgicales avaient causé des pertes humaines considérables. Au demeurant, les organes génitaux sont autant importants pour la reproduction que pour la vitalité de l’espèce humaine. Moawiya (661-680), caliphe et leader des Ommeyades, fut le premier potentat arabe à adopter la coutume byzantine de faire garder ses femmes par des eunuques.

Modes de production des eunuques

Des plumes célèbres ont présenté les différents modes d’acquisitiondes eunuques. Parmi les auteurs qui se sont intéressés à ce type d’analyse, nous retenons particulièrement Claude Meillassoux qui en fait un exercice intéressant. Pour lui, l’opération de castration consistait à amputer aux captifs la totalité de leurs organes génitaux. L’opération avait pour but d’empêcher l’accomplissement du coït.4 La castration des esclaves était extrêmement coûteuse à cause d’une mortalit...

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